IL DIBATTITO DELLA SCUOLA

Le "Débat de l'Ecole" se poursuit en Italie jusqu'à jeudi prochain, après quoi une journée "sans", le vendredi, précédera le rendez-vous de Milan au palais des Stelline. Tous les textes du "Dibattito" seront placés sur le nouveau site, "LA MÉMOIRE DU MESSAGER". Nous diffusons ci-après la contribution de J. A. Miller, datée du 12 décembre, et intitulée "Lettre à Lucrezia" ; elle est précédée d'une rediffusion de la "Lettre à Rosy", de Maria Teresa Maiocchi, dont la parution, le 30 novembre dernier, motiva l'ouverture du Débat électronique, le 1er décembre, par Miquel Bassols, président de l'Ecole Européenne.

LETTRE A ROSY

par Maria Teresa Maiocchi

Chère Rosy, A mes yeux, l'importance du séminaire organisé par la communauté de travail de Turin est grande, et j'espère qu'il s'est bien déroulé, d'autant que nous sommes relativement pauvres en offres culturelles propres à promouvoir dans la société civile la question de la psychanalyse et du sujet. La manifestation récente d'un certain sentiment d'envie ("invidia" dans le texte) pour la capacité de travail du groupe de Turin, pour la bonne entente qui règne entre ses membres, et aussi pour le fait qu'il donne régulièrement des informations sur ses initiatives, m'a conduite à faire quelques réflexions sur la qualité du lien dans notre Ecole. De quelle supposition - ou désupposition - éthique ce lien est-il fait ? Ecrivant, il y a quelque temps de cela, un article intitulé "Un amour d'Ecole" pour "Appunti", je mettais en valeur le respect pour l'autre (le petit autre, autrement dit le "semblable"), et j'y voyais le signe d'un certain traitement en acte du réel du lien. Pour Lacan, "le respect" a quelque chose à voir avec une certaine assomption de la "cause sexuelle" en tant que féminine (le fameux manque de l'Autre, cette fois majuscule), et absolument dis - semblable. Le lien dans l'Ecole, le fait de s'associer quand le "socius" est touché par le discours de la psychanalyse, devrait inclure ce qu'il en est de la barre, de l'inexistence de l'Autre, et donc du respect pour l'autre. Dans notre situation actuelle, avec ses symptômes, il me semble que nous devons précisément nous avancer dans la direction de cette interrogation : nous avons besoin de bien situer le manque présumé de l'Autre, car je crois qu'il peut être compris, et mis en pratique, de deux manières différentes, sinon opposées. D'un côté, l'Autre n'existe pas pour autant qu'il a un mode de présence qui est perforé, par rapport à quoi créer un "archipel du lien" : tâche et incidence "sociale" incombant à une Ecole, comme lieu spécifique où de l'Autre on montre la place structurale, en tant que vide. Au contraire, il y a une manière tout autre de traiter l'inexistence, quand l'Autre-qui-n'existe-pas, n'existe pas pour autant que la "place" même de l'Autre est proprement élidée. Cela ouvre sur des scénarios bien différents : il y a dans ce cas, paradoxalement, un excès de présence de l'Autre et de ses effets de groupe, il y a désert du lien, le semblable est avalé, et il est réduit à sa stupide existence. Cette modalité du lien de groupe finit par faire exister l'Autre (l'Autre majuscule précisément) sans la barre, car il fait taire la différence, et donc les manques. Si l'Autre n'est plus une place, une place discursive, il ne peut pas non plus être vidé. L'Autre groupal devient alors une chambre insonorisée qui soustrait à la parole de chacun sa résonance de vérité, instance toute fictive, pure machine de transfert où tout peut se dire car nous sommes chacun tous et personne à la fois, enfants généralisés, enfants de Spitz, dont le syndrome d'hospitalisme répond à la jouissance de l'Autre, lequel, bien que n'existant pas, délivre tout de même ses prescriptions : "condamnés à vivre ensemble", comme le disait quelqu'un naguère. C'est l'enfer sartrien, où l'autre que l'on doit respecter devient celui qu'il faut éliminer. Effets de groupe l'emportant sur les effets de discours, Lacan nous en avait averti. De quel Autre croyons-nous avoir choisi la voie, quand nous nous communiquons - y compris via Internet - "la joie de notre travail" ? Quelqu'un identifiait récemment l'Ecole à un "hôpital de jour". Voilà, c'est ça : il y a des risques dans les psychothérapies, surtout quand elles sont psychanalytiques. Si l'on ne parvient pas vider la place effective de l'Autre de la jouissance, alors quelque chose finit toujours par en tenir lieu. Les dieux obscurs sont aux aguets. "Hôpital de jouir" ? Il me paraît urgent - et avec plusieurs collègues nous le vérifions en ce moment - de travailler sur le thème de la place de l'Autre dans notre institution analytique, et ses conséquences. Nous t'en donnerons des nouvelles au plus vite.

Amicalement, Maria Teresa Maiocchi

(traduction par Francesca Biagi-Chai et J. A. Miller, avec la collaboration de Michelle Daubresse)

 

LETTRE A LUCREZIA

par Jacques-Alain Miller

Chère Lucrezia,

"Je ne comprends pas", dîtes-vous. Vous ne comprenez pas le pourquoi de la lettre "à Rosy", vous comprenez moins encore le cas que l'on en fait : « Mais c'est un discours qu'elle tient depuis des années ! Ce qu'elle dit n'est pas différent de ce qu'Eric Laurent disait l'autre jour, à Rome ! Il parlait de l'expérience analytique, de la rencontre de l'Autre en tant que lieu vide avec une plénitude habitée par l'Autre de l'Autre. Eh bien, qu'a-t-elle fait d'autre que d'interroger notre vie d'Ecole à partir de l'opposition de l'Autre vide et de l'Autre plein ? Dans la psychanalyse, il faut toujours monter la garde, et elle le fait à sa façon, dans son style. » Mais non. Ecoutez-moi donc. Cette lettre ouverte a inauguré quelque chose. On ne le saisit peut-être pas très bien au premier abord. On est dans le brouillard. On s'aperçoit pourtant que le ton est hostile, qu'une vive hostilité s'exprime à l'endroit d'un Autre qui serait celui dont Eric Laurent et moi avons traité jadis dans un cours à Paris : une des modalités de cet Autre serait au principe de multiples symptômes du lien social, notamment dans la Sisep (Section italienne de l'EEP). C'est un étrange message. Comment douter qu'il aurait beaucoup fait jaser en Italie, piano piano, puis rinforzendo ? Comme aucun envoi préalable à la réunion de Milan n'était prévu de la part des instances régulières, c'est le thème paraissant mystérieux des deux Autres qui aurait inévitablement dominé les conversations, suscité des interprétations, et nourri un vaste murmure. Je suis bien sûr que la Conférence du 18 décembre ne se serait pas longtemps déroulée dans le style "sérieux" que désiraient le CN et le SN (Conseil national et Secrétariat national), et que je désirais avec eux, et qu'au moins dans les couloirs on n'aurait parlé que de ces deux Autres, et surtout du mauvais. Mais pourquoi donc croyez-vous que ce message ait paru sur la liste, comme lettre ouverte ? Le plus simple n'est-il pas de penser que c'était précisément pour obtenir l'effet que je viens de dire ? D'autre part, le texte indiquait en toutes lettres que ce n'était qu'un début, que son auteur ne comptait pas s'en tenir là : "Mi pare urgente un lavoro - con alcuni colleghi lo stiamo verificando - su questo tema del posto dell'Altro nella nostra istituzione analitica, e sue conseguenze. Te ne daremo notizia al più presto." « Au plus vite » - avant le 18, pourquoi pas ? -, vous auriez eu des nouvelles de l'auteur, de son travail - mené en groupe, est-il précisé, dans un groupe qui déclare son existence (« avec quelques collègues »), mais sans révéler encore sa composition -, un travail de réflexion, mais un travail urgent, portant sur l'Autre, sur sa place dans notre institution, sur les deux Autres, le bon et le moins bon, etc. Pourquoi donc annoncer ce beau programme, devenu "urgent", au moment où nous étions attendus à Milan, le Président de l'EEP, un membre du Conseil de l'AMP, et moi-même, et ce, pour une discussion faisant époque sur la création éventuelle d'une Ecole italienne ? Eric Laurent, qui a lu attentivement la lettre à Rosy, et qui a communiqué sur la liste AMP-Corriere le résultat de sa lecture, considère que : "le groupe de travail annoncé in-fine semble avoir déjà conclu". Il est difficile en effet de ne pas voir dans cette lettre ouverte, plutôt que l'annonce d'un travail théorique en profondeur, une invitation à critiquer, dès la prochaine réunion de Milan, l'un des deux Autres au nom de l'autre Autre, je veux dire à abjurer "l'Autre groupal" et ses pompes, celui qui réduit chacun à sa pure différence numérique, "alla sua stupida esistenza" (l'expression est de Lacan, voir "D'une question préliminaire...", III 2 : "son ineffable et stupide existence"), en faveur de l'Autre du lien en archipel, l'adorable "dis-semblable" qui respecte toute différence qualitative ? Je veux bien que, dans l'absolu, dans l'abstrait, cette lettre ne se comprenne pas bien. Mais si l'on lui ajoute son contexte, les circonstances, notre actualité, je prétends qu'elle est limpide. En vérité, Maria-Teresa est claire. Elle est aussi claire qu'elle peut l'être. Elle est étrangement claire, beaucoup plus claire qu'elle n'est accoutumée de l'être. Elle est claire, et elle dit clairement ce à quoi on peut s'attendre venant d'elle et de ses amis lors de la réunion, et avant la réunion, et après la réunion. Vous aussi vous êtes claire dans ce que vous me dîtes : vous me dîtes que vous avez choisi de nier l'évidence, et de n'entendre pas ce que cette lettre nous dit si clairement, à vous, à moi, et à tous. Vous me prévenez gentiment que vous avez l'intention d'être de ceux qui ne comprennent pas, qui attendront pour comprendre que le feu soit dans la maison. On peut faire ça, Lucrezia, quand on est bête, ou malveillant, que l'on veut que la maison brûle. Mais Lucrezia, cette maison, c'est la nôtre, cette maison à laquelle on met le feu. Ne rien faire quand sous vos yeux on commence de mettre le feu à la maison, croire que, parce que l'on détourne le regard, que l'on se croise les bras, le feu ne va pas prendre, va s'éteindre de lui-même, nier que la torche enflammée soit une torche enflammée, dire que c'est une vessie, une lanterne, un sucre d'orge, comment cela s'appelle-t-il ? "Temps-pour-comprendre un peu long", voilà comment j'appelle cela, au moins chez vous, Lucrézia, car il est d'autres noms. Certes, vous aviez parfaitement compris, sur le champ, ce que voulait dire la lettre, comme je l'avais compris moi-même. Vous saviez parfaitement qui et quoi elle visait. Mais vous n'avez pas voulu le savoir, ou plutôt vous avez voulu n'en rien savoir. Il y a encore autre chose. Vous n'avez pas compris que du seul fait d'avoir lu cette lettre, telle qu'elle est écrite, savamment composée, portant en elle quelque chose de cette "acutezza recondita" que prône Baldassar Castiglione, vous tombiez en son pouvoir. C'est un effet qui n'est pas indigne d'être comparé à celui qui frappe le possesseur possédé de la Lettre volée. Mais oui, par l'effet de son art d'écrire, la lettre à Rosy place tout lecteur dans l'obligation de relever le défi qu'elle véhicule, ou de se ridiculiser. Il y a défi. Voyez le Conseil et le Secrétariat : s'ils avaient une petite inquiétude sur le nombre des présents, eh bien ils ne l'ont plus. C'est que le défi palpable lancé par la lettre à Rosy, assure dès à présent à la réunion de Milan un franc succès de participation. Il y a défi et il y a ruse. Il y a une ruse dans le défi. Ce défi rusé, quel est-il ? Disons que la lettre, quand on la lit, donne à lire en même temps un « Oses-tu me lire ? », un « Qui ose me lire ». La ruse de la lettre est là : elle est si claire qu'elle permet qu'on la dise obscure. Or, elle n'est pas du tout obscure, elle est seulement écrite sur le mode allusif. Son allusivité réside en ceci, que son énoncé tait la référence que son énonciation crie. Dans ce laps entre énoncé et énonciation, le lecteur est donc laissé libre de pratiquer, s'il le veut, la politique de l'autruche. Et comme ce qui s'offre à lire à qui franchit la barrière de l'explicite est d'une violence à couper le souffle, d'une horreur médusante, le lecteur choisit toujours de s'arrêter, de ne relever pas le défi, et se met la tête dans le sable, quitte à présenter "l'objet ridicule" (comme s'exprime Jean-Jacques Rousseau) à qui le plumera. Cela vaut pour le lecteur venant du dehors. Ceux qui sont dans la confidence de l'auteur, clignant de l'oeil entre eux, forment secte autour du secret, pourtant exhibé. Ainsi cette lettre - maléfique comme toutes ses pareilles qui jouent en définitive sur le viol de la pudeur ("la pudeur, rappelle Lacan, est amboceptive des conjonctures de l'être, l'impudeur de l'un à elle seule faisant le viol de la pudeur de l'autre") - prend-t-elle le lecteur au piège imparable tapi dans le "sfumato". Ce piège est l'alternative suivante: a) S'il lit bien, le lecteur est fautif : pourquoi n'a-t-il pas plutôt fermé les yeux, comme il le pouvait, comme l'allusivité de la lettre l'y invitait ? C'est donc qu'il désirait lire ce qu'il a lu, c'est donc un méchant. Et le pauvre lecteur, ce mauvais objet qu'il voudrait dénoncer dans la lettre, il n'ose le stigmatiser, puisqu'en somme, il serait aussitôt, lui, coupable de l'y avoir mis : force-t-il pas la main de l'auteur, qui ne faisait que mi-dire et sous-entendre ? b) S'il ferme les yeux, détourne le regard, fuit la Méduse qui gît dans le message comme l'image dans le tapis, il s'épargne faute et culpabilité, mais il lui faut pour cela choisir de se ranger dans la classe des autruches, à savoir des sujets définis par leur « je ne comprends pas ». Résultat : il se disqualifie, tout simplement. N'en parlons plus : c'est un idiot. Le lecteur de la lettre sera donc méchant ou idiot, il n'y a pas à sortir de là. Et il y a donc choix forcé. C'est le choix de l'idiotie - avec le léger "disagio" qui l'accompagne, auquel nul n'échappe qui lit cette courte missive, effet où se signale ici l'opération du "je n'en veux rien savoir". Cette trame pourtant se peut défaire. Il faut pour cela qu'au-moins-un, relevant le défi, franchisse à son tour (après l'auteur) la barrière de la décence à interdire l'accès à l'horreur. Il ne peut alors que vouloir actionner "l'opération-vérité" qui lui permette d'être suivi, car son pas n'est un progrès que s'il n'est pas seul à le faire. Ni idiot, ni méchant, l'issue est d'être lucide ensemble. Lucide, Miquel Bassols a sagement refait ses plans pour la réunion du 18 décembre, et a trouvé cette réplique universalisante et pacifique : instaurer un débat électronique. Lucide, Rosa-Elena Manzetti, la "Rosy" de cette lettre ouverte et fermée à la fois, a rappelé que c'étaient le Conseil national et le Secrétariat national qui avaient invité le délégué général de l'AMP, et elle a fait connaître en termes non-équivoques qu'elle désapprouvait tant la façon dont la lettre l'avait interpellée que les termes dont celle-ci biaisait d'emblée le débat institutionnel. Si elle ne l'avait pas fait, si j'avais dû penser que ma venue le 18 décembre était maintenant de nature à gêner les échanges des Italiens entre eux, (à troubler par exemple les heureuses permutations destinées à amener Tizio à remplacer Caio, "e viceversa"), en leur imposant la présence importune d'un vilain dis-semblable existant trop, voire psychopathologiquement inamovible, - eh bien, je serais resté chez moi, où je ne manque pas de choses à faire. Dans le fait, ce qui s'est passé est simple à dire : a) le Conseil a l'idée de cette réunion, et de la tenir en toute urgence au mois de décembre ; b) j'accepte de m'y rendre, à sa demande, pour servir son dessein, sans même le connaître parfaitement ; c) sur ces entrefaites, à ma surprise - ma surprise a-t-elle été celle de tous ? Il est plus probable que plusieurs qui en savaient long, ne m'ont rien dit afin de ne pas envenimer les choses, avec le résultat que l'on voit -, quelqu'un, inopinément se présente, intervient, et se déclare. Ce quelqu'un n'est pas n'importe qui, je ne vous apprends rien. C'est une collègue, une ancienne, nous nous connaissons depuis vingt ans, elle est membre de l'Ecole, de l'AMP, elle est AME, elle est membre du Cartel de la passe après avoir été dans son Secrétariat, elle professe à l'Université Catholique de Milan, et plusieurs de nos collègues plus jeunes l'assistent. En écrivant ce qu'elle a écrit, en manifestant sans fard, pour peu qu'on ose lire ce qu'elle écrit, son dégoût et sa profonde détestation envers cette Sisep que nous avons mis près de vingt ans à construire pierre à pierre et dont elle est toujours une dignitaire, - elle a franchi une ligne. Bref, c'eût été un acte pour peu que l'auteur eût voulu être conséquent avec son dire. Mais il ne veut pas, semble-t-il, être pris au sérieux. C'est son choix, et, s'il se confirme, il est à respecter. Mais un acte, si ce n'est sérieux, c'est comique. La Méduse devient Baubo riant de son impudeur: « Eh quoi, petit homme ! je t'ai donc fais bien peur ! C'était pour t'apprendre, butor, que le respect a quelque chose à voir avec "une certaine assomption de la "cause sexuelle" en tant que féminine et absolument dis - semblable". Le fameux manque de l'Autre, quoi ! » (sur Baubo, voir la note de Freud, "Mythologische Parallele zu plastichen Zwangsvorstellung", de 1916). Il se peut que la logique du signifiant soit poussée jusqu'au point où, une fois sa lettre déchiffrée, et bien déchiffrée, l'auteur n'ait plus d'autre issue que de rejoindre lui-même la classe des "je ne comprends pas" : "Je ne comprends pas ce que l'on lit dans ma lettre. Ce n'est pas ce que j'ai dit. Non pensavo... Non volevo... Sono stupida. Quel malentendu. On me fait un procès d'intention. Je ne visais personne. Je parlais en général. Je le faisais pour l'Ecole. C'était une mise en garde." Ainsi il n'est pas impossible que l'irregardable Méduse, devenue Baubo qui s'exhibe, finisse Autruche plumée, conformément au beau principe dont les frères Lumière inaugurèrent ledit septième art, non moins qu'à celui de Lacan, qui veut qu' « une lettre arrive toujours à destination ».

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Ah, dépêchez-vous de comprendre, ma chère Lucrezia, je vous en prie. Vous avez pris du retard. La résonance de la lettre à Rosy déjà s'éteint, elle n'a plus d'écho, elle ne dit plus rien, demain elle ne sera plus qu'une petite lettre perfide, une de plus. Est-ce là effet de groupe ? Effet de "l'Altro gruppale (.) che depriva dell'eco di verità di ciascuno"? N'est-ce pas plutôt effet de discours ? Effet de la libre controverse, de l'argumentation publique ? Eric Laurent s'est appliqué à lire les yeux ouverts la lettre à Rosy, Carole La Sagna a invité à lire Spitz, Dominique Laurent a esquissé une pragmatique contemporaine du signifiant-maître, d'autres ont à leur gré remercié Maiocchi, illustré sa pensée, l'ont prolongée, ou encore ignorée. Il me semble à moi que, plutôt qu'à la vérité, c'est aux mensonges, ou, disons, aux balivernes, que le Champ freudien soustrait leur puissance d'écho. Et le beau paradoxe est que ce résultat s'obtienne par l'opération d'aucune censure, d'aucune "stanza insonorizzata", mais tout au contraire par la médiation d'une conversation à-tout-va fonctionnant comme "cassa di risonanza". Il est en effet de ces contre-vérités qui ne prospèrent que chuchotés dans l'ombre, et qui, quand on les porte au jour, s'éclipsent telle la chauve-souris. Laissons. La lettre à Rosy appartient désormais, ou appartiendra bientôt, au passé, tandis que le débat de l'Ecole commence seulement. IL CONVEGNO DELLE STELLINE Les dix jours qu'il aura fallu pour éventer les pièges de la lettre à Rosy, nous auront aussi permis de voir se déconstruire sous nos yeux la méconnaissance essentielle que la perspective de la création prochaine d'une Ecole italienne avait cristallisée. Massimo Recalcati, le Secrétaire du SN, qu'à ce titre l'on peut supposer bien informé, en dégage avec acuité la matrice dans son texte paru sur Corriere, quand il souligne que l'ensemble CN-SN s'était persuadé que la création d'une Ecole italienne signifiait un "plus d'autonomie" - signification imaginaire par excellence. C'était une erreur : la création d'une Ecole de l'AMP signifie un "plus d'insertion". Insertion symbolique dans un réseau signifiant potentiellement mondial, insertion destinée à devenir effective ("wirklich") dans les échanges internationaux du Champ freudien, jusqu'à l'Ecole Une. Ce qui veut dire pour les Italiens de l'AMP : un "moins de provincialisme" ; une plus grande ouverture à l'étranger (comme figure de l'AQNEP, l'Autre-qui-n'existe-pas) ; un décentrement accentué. Le débat actuel a déjà eu pour résultat louable de dissiper l'ambiguïté : il y a l'Ecole-bien-de chez--nous, il y a l'Ecole de l'AMP, elles se ressemblent, mais ce n'est pas tout à fait la même. D'où le caractère équivoque de certains articles du projet statutaire que nous sommes invités à discuter samedi prochain au Palazzo delle Stelline. Le "Commento" minutieux que prépare Antonio Di Ciaccia, et qui est sans douceur, me semble là-dessus probant et salutaire, parce que propre à désambiguer la confusion - voyons s'il sera réfuté. Bien entendu, rien n'empêche de dialectiser les deux termes opposés, et d'en faire les "aspects" d'une même contradiction. Encore faut-il en déterminer l'aspect dominant. Ainsi ne pourra-t-on jamais faire que "la Scuola dei Simili", fût-elle habillée d'une belle robe AMP (pur faux-semblant ), soit une authentique "Scuola dell'AMP" permettant à "noi" d'échapper à l'imposture. Il faudrait comprendre, oui, sans trop tarder, l'impeccable démonstration que Bassols nous livre dans ses "Note" traduites par Erminia Macola. Sauf à jouer l'"Arlecchino servitore di due padroni". En attendant que vous soyez bien au fait de tout cela, qui demande de l'attention, et de prendre le temps de l'étude, et d'autres choses encore, le moment de conclure fera antichambre.

Avec affection, Jacques-Alain Paris, 1-12 décembre 1999