LA QUOTIDIENNE

n° 5 - vendredi 9 juin 2000

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SOMMAIRE
- Editorial
- Communique
- *Intervention sur le mutualisme*, par Jacques-Alain Miller (Paris)
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EDITORIAL

*La Quotidienne* conclut la premiere semaine de son existence en
publiant une plus longue intervention qui pourra retenir le lecteur du
week-end. Le prochain numero paraitra mardi 13 juin, le lundi 12 etant
ferie en France. - JAM
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COMMUNIQUE

L'AMP remercie les nombreux collegues et les instances qui lui ont
adresse, ainsi qu'au delegue general, des messages de soutien, dont
quelques-uns seulement ont pu paraitre. Nous attendrons maintenant dans
la serenite, et avec confiance, que se prononce le Tribunal.
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INTERVENTION
SUR LE MUTUALISME

par Jacques-Alain Miller

Allocution a l'Assemblee generale de l'Ecole bresilienne reunie a Rio de
Janeiro, le 8 avril 2000. Cette allocution avait ete annoncee sous le
titre : *La politique de la passe a l'EBP*.

Je ne parlerai pas de la politique de la passe a l'EBP. C'est a vous
d'en parler, si vous le souhaitez. De quoi puis-je vous parler ? Je peux
vous parler, cela oui, en general, de la politique de l'AMP a l'endroit
de la passe dans les Ecoles du Champ freudien.

1

C'est une politique fort simple, et qui n'a pas varie depuis les
commencements. C'est une politique dont le but a toujours ete
d'accomplir un transfert de technologie.

D'emblee, la decision a ete prise dans le Champ freudien, le desir etait
la, d'accomplir un transfert de la technologie de la passe.

Il faut se souvenir qu'une fois Lacan disparu, ses eleves n'eurent rien
de plus presse que d'abandonner la pratique de la passe. C'est un fait
que l'Ecole de la Cause fut la seule a dire que non, nous allions
l'adopter, la retablir. Et apres deux ans de discussions pour
re-elaborer le reglement et repenser la necessite de la procedure, nous
l'avons en effet retablie. Nous l'avons fait parce que c'eut ete une
erreur theorique aussi bien qu'une aberration pratique que de tenir la
passe pour un supplement dont on pourrait faire l'economie, pour un
supplement somptuaire - parce que la passe faisait partie integrante de
la pratique de la psychanalyse telle que Lacan nous en avait apporte la
notion, a savoir : une cure psychanalytique est equivalente a une
demonstration.

Lacan tenait la cure pour un processus logique exigeant une conclusion.
C'est evidemment un sophisme. C'est le sophisme du *un prisonnier*.
C'est un sophisme pour autant que le probleme initial se transforme au
cours du temps, et trouve sa solution alors qu'il est devenu bien
different de ce qu'il etait lorsqu'il s'etait impose dans sa dimension
de probleme.

Toujours est-il que la passe n'est pas un supplement. La passe est
coherente avec, solidaire de, inseparable de notre pratique de la
psychanalyse. Si l'on conçoit la cure comme une demonstration, il
s'ensuit quelques consequences.

Une demonstration qui ne vaudrait que pour un seul ne vaudrait rien. Il
n'y a pas de demonstration sans communaute. Voila pourquoi il y a Ecole.
Nous avons une Ecole pour que la demonstration soit possible, qu'elle
soit effective.

La demonstration est d'abord celle de la conclusion de la cure. Ce n'est
pas la seule. Lacan avait lui-meme introduit l'idee d'une multiplicite
de la passe, lorsqu'il disait faire la passe *tout le temps*. En effet,
au sens large, il y a passe chaque fois qu'il y a point de capiton,
acces au point a l'infini (pour reprendre le terme dont j'ai fait usage
dans mon expose sur *L'erotique du temps*), subjectivation apres-coup.

Cela donne a penser. Qu'est-il interessant, plus interessant, de penser
? On peut jouir de penser toujours la meme chose. Chacun, en un certain
sens, jouit ainsi, de repenser toujours le meme. Mais on peut aussi se
surprendre soi-meme en pensant, se laisser surprendre par sa pensee, en
adoptant des angles nouveaux. Par exemple, nous pensons d'habitude en
termes d'espace metrique. Et si nous pensions en termes topologiques ?
Et que se passe-t-il donc si nous essayons de penser en termes de temps
? Et pourquoi ne pas generaliser la passe comme methode, et inventer la
*passe a l'entree* ?

Dans l'Ecole de la Cause, nous avons pris la releve, repris la passe,
que les autres avaient abandonnee - ce joyau, la passe. C'est dans ces
termes que jadis je m'adressais a Jesus (voir *Lettre a Jesus Santiago*,
du 1er juin 1998, dans *Conversation sur le signifiant-maitre*, Paris,
1998, p. 340), quand je lui faisais part du sentiment que j'avais eu au
debut des annees 80 : que ses eleves avaient jete l'agalma de Lacan dans
le caniveau, qu'elle allait a l'egout, et que nous l'avions sortie de
la, frictionnee, sauvee. Ce ne fut pas a notre seul profit, ce fut pour
assurer ce que j'appelais a l'instant un transfert de technologie, et
installer la passe en tous lieux, en tenant compte des conditions
propres a chaque pays, et du moment.

Je crois que pour personne il n'y eut jamais la moindre ambiguite sur
cette finalite fondamentale, a savoir que le Champ freudien se proposait
de realiser un transfert de technologie en psychanalyse. Le transfert de
technologie ne va pas sans le transfert du desir, cela va sans dire.

Cela demandait d'abord qu'aux yeux de ceux-la memes qui seraient les
agents de la procedure de la passe, leur operation soit credible. C'eut
ete courir a l'echec que de se precipiter pour installer la procedure
avant que ses operateurs locaux n'aient ete eux-memes assez surs de
l'authenticite de ce qu'ils faisaient, faute de quoi auraient-ils ete en
mesure de l'accrediter ? Ce n'est pas la un facteur qui soit susceptible
d'un calcul a priori. Cela doit s'apprecier a chaque endroit, et de
moment en moment.

S'il y a ici des collegues pour penser que nous sommes en retard a l'EBP
(ou les cartels decident de la passe a l'entree et non de la passe
conclusive), il ne tient qu'a eux d'exprimer leur opinion, et nous en
debattrons. Mon sentiment a moi est que jusqu'a present la passe, telle
qu'elle est au Bresil, fonctionne convenablement, et que nous irions
au-devant de difficultes embarrassantes si nous voulions aller plus vite
que la musique, comme l'on s'exprime en français pour dire que l'on se
precipite a contre-temps. J'accepte volontiers d'en debattre ici meme
avec des collegues qui auraient une opinion differente.

2

Je dirai maintenant un mot de l'Ecole Une, qui est certes une nouveaute,
mais aussi qui est tres ancienne.

L'Ecole Une, c'est, si je puis dire, la manifestation de l'essence du
Champ freudien. Le Champ freudien, des l'origine, allait dans la
direction de l'Ecole Une. Nous pouvons aujourd'hui apercevoir que l'idee
de l'Ecole Une etait deja la avant que d'etre formulee.

En effet, des le depart, le Champ freudien - l'exemple de la passe le
montre bien - a eu une visee desegregative, sinon universalisante. Il
s'est efforce de surmonter la difference des langues et la separation
des nationalites. Chaque langue, par exemple, distribue le temps a sa
maniere dans les temps du verbe. C'est la un reel, et comment le
contourner ou le traverser ? Pourtant, tout en prenant en compte toutes
les raisons que nous avons d'etre differents, il n'est pas impossible,
il est meme necessaire de privilegier ce qui nous fait chacun participer
d'une meme experience.

Il est clair que ce n'est pas la quelque chose qui se demontre ou se
calcule de façon objective. L'evaluation depend d'un desir. Privilegier
tel aspect ou tel autre, est relatif a un desir. Cela dit, cela ne
resout pas la question de savoir ce que c'est, en definitive, une Ecole,
quand c'est une *Ecole de Lacan*.

Dire ce qu'est une Ecole, c'est dire aussi bien quel est cet ensemble
etrange que nous formons ici ce soir, et qui est une reduction de cette
assistance si nombreuse a laquelle nous etions meles il y a peu pour les
Journees de l'Ecole. Cette Assemblee est etrange comme le sont les
Assemblees des autres Ecoles, etrange si on la compare a cette assemblee
minuscule qui est celle de la seance analytique, assemblee de deux, ou
il y a celui qui preside, et le membre. C'est une question que de savoir
comment, de la seance analytique, surgit quelque chose comme l'Assemblee
d'une Ecole.

Je trouve beaucoup plus interessant de penser une Assemblee d'Ecole par
rapport a la seance analytique que de la penser selon une perspective
sociologique, comme la reunion d'un certain nombre de membres d'une
profession liberale regroupes pour defendre leurs interets et rivaliser
entre eux.

Longtemps, et encore il y a peu, nous nous tirions de ce guepier en
conceptualisant l'Ecole sous deux faces : d'un cote, disions-nous, une
Ecole est une association, et a ce titre elle doit repondre a des regles
de droits, assumer des necessites de gestion, servir des interets
toujours bien legitimes, etc ; par ailleurs, c'est une Ecole analytique.
Eh bien, c'est un peu rapide, un peu court.

Allons d'abord a ce mot, *Ecole*. Ecole n'est pas Universite. Il s'agit
moins d'un savoir acquis qui serait a divulguer que de transmettre un
non-savoir exactement localise dans le discours universel, et d'ou
s'origine un desir special. Neanmoins, c'est au discours de l'Universite
que nous faisons ici appel pour situer par contraste l'Ecole.

L'Ecole releve aussi du discours du maitre, pour autant qu'elle a un
statut legal, qu'elle est un sujet de droit.

Une Ecole a aussi, ou devrait avoir, quelque chose du discours
hysterique, puisque c'est celui dont le produit est du savoir. Quand
l'Ecole est hysterique, quel est le signifiant-maitre qu'elle met au
travail ? Le signifiant a partir duquel nous mettons tout en question,
*more socratico*, c'est le mot *analytique*. L'Ecole est cette
communaute qui fait de *l'analytique* un signifiant-maitre, instrument
de sa question.

Reste le quatrieme discours. Ne serait-il pas plus interessant d'aller
jusqu'a penser l'Ecole dans le discours analytique ?

3

J'ai deja dit a Paris le mois dernier, au Seminaire de politique
lacanienne, ce que je tenais pour etre *la doctrine secrete* de Lacan
sur l'Ecole : c'etait qu'il considerait son Ecole comme etant de part en
part une experience analytique.

De l'Analyste de l'Ecole Lacan disait qu'il avait a etre l'analyste de
l'experience de l'Ecole. En fait, il l'a dit une fois, dans une phrase
ou l'equivocite du relatif a conduit tout le monde a s'imaginer que l'AE
avait a etre l'analyste de SA propre experience. C'est une erreur de
lecture : pour Lacan, l'AE est l'analyste de l'experience DE L'ECOLE. Il
conçoit l'Ecole comme etant le lieu d'une experience, et cette
experience comme etant analysable. L'Ecole, ce n'est pas seulement une
gestion, des finances, etc. Elle a une gestion, elle a des biens, elle a
des debats sur la gestion et sur les biens, mais elle a,
fondamentalement, une experience qui est de type analytique et qui a a
etre interpretee, *interpretanda est*.

L'Analyste de l'Ecole n'est pas la seulement pour transmettre la
clinique de son propre cas, dont on suppose qu'il est au fondement de ce
qu'il enonce. Cela, bien entendu, nous l'attendons de lui. Mais ce n'est
pas le tout de ce que nous attendons de lui. Nous attendons de lui
l'analyse de l'experience de l'Ecole.

C'est une experience analysable en termes de refoulement et en termes de
surprise, avec des interpretations apres-coup, des *acting-out*, des
alienations et des separations. Nous attendons de l'AE qu'il nous
re-signifie ce que nous vivons, et qui ne se reduit pas a des luttes de
pouvoir, de prestance, de personnes, comme on dit, ni meme a une
reconquete du discours ou du terrain, ou a une tension entre le multiple
et le un, entre la base et la direction. Il y a un autre niveau qui est
plus interessant et qui est moins etudie : celui de l'Ecole comme
experience susceptible d'etre interpretee analytiquement.

Cela, nous ne le faisons pas tellement. Nous avons recule devant cette
consequence. A mon avis, c'est le moment d'y aller. Le moment de l'Ecole
Une est le moment d'y aller.

4

Que Lacan nous dit-il a ce propos ?

Il nous indique que ce qui motive en verite les regroupements analogues
au notre, la reunion en une association des praticiens de la
psychanalyse, c'est la necessite ou ils sont de prendre leurs distances
avec l'experience de l'inconscient, de s'en defendre. C'est dans ces
termes que Lacan interprete le phenomene IPA. Il fait voir que ses
membres sont reunis sous un mode qui leur permet de supporter
solidairement ce qu'a d'inquietant et d'imprevisible l'experience de
l'inconscient dans la cure. Ce mode est un *s'unir contre*. D'ou le nom
dont il decore l'IPA : la SAMCDA, *Societe d'assistance mutuelle contre
le discours analytique*. Ce nom est deja une interpretation analytique.

Tous unis contre l'imprevu ! Serrons-nous les coudes contre l'experience
de l'inconscient ! Haissons la surprise ! Pacte et compact ! Redigeons,
de notre plume pointue, reglements, comptes et statuts, turlututu !

En effet. Comment se passer de regles et de regularite ? Sans cet
appareil, ou en serions-nous ? Nous ne pourrions meme nous rencontrer.
Mais de la a s'unir contre le discours analytique, il y a encore de la
marge.

Il y a une façon d'etre ensemble dans le groupe qui ne traduit rien
d'autre que la resistance a l'experience analytique, ou le refoulement
de l'experience de l'inconscient, ou la defense contre. L'experience de
l'etre-en-groupe vient alors compenser et dementir l'experience de
l'etre-en-analyse.

On peut observer l'insatisfaction que sa situation quant au savoir
suppose nourrit chez l'analyste. Il est insatisfaisant que tout ce qui
s'accumule de savoir dans l'experience analytique reste structuralement
a l'etat de supposition, ne parvienne pas a s'expliciter, et que,
lorsqu'on l'explicite, c'est toujours autre chose. Le savoir suppose,
c'est la douleur de l'analyste. Comment soigner sa douleur ? Une façon
de se soulager, c'est de faire passer au-dessus de la barre, en position
de maitre, le signifiant du savoir, S2, qui est dessous, en position de
verite refoulee. Cela se manifeste par exemple sous la forme de cette
demande folle que tout soit mis sur la table, explicite, regle, defini
une fois pour toutes.

La Societe d'assistance mutuelle n'est pas le sort que de la seule IPA.
Il y a un devenir-mutualiste du groupe analytique. Le groupe analytique
va vers le mutualisme et vers la bureaucratie et vers la hierarchie
comme le fleuve va a la mer, en raison de l'insatisfaction ou vous
laisse le savoir suppose lorsqu'il n'y a pas le transfert. La solution
de Lacan est connue, c'etait : soyons analysants ! Soyons analysants
dans le rapport a la fonction du sujet suppose savoir ! Faute de quoi,
point d'Ecole.

Nous organisons le previsible : les Assemblees ordinaires, les Journees,
les parutions, etc. Nous devons le faire. Mais comment preserver le lieu
de l'imprevisible, que nous finissons par hair, que nous cherchons a
enchainer, a emprisonner, a pietiner ? La vie collective produit cela
tout naturellement, et il n'est pas assez d'en etre mecontent pour que
cela n'ait pas lieu.

Bref, ce qu'il s'agit de preserver d'abord dans nos Ecoles, c'est le *un
par un*. Tout dans le groupe va contre le un par un. C'est-a-dire : dans
la psychanalyse, tout va naturellement dans la direction de la defense
mutualiste, de l'oligarchie, de la gerontocratie. Comment faire en sorte
que l'Ecole se presente reellement sous la forme du un par un ?

5

On veut l'efficacite. Tres bien. L'efficacite demande la solidarite,
demande que l'on fasse de la solidarite une valeur positive. Tres bien.
Eh bien, preparons donc soigneusement nos Assemblees, faisons en sorte
que les faiseurs d'opinion, les notables, les remarquables, soient tous
bien d'accord a l'avance, aient tous leur part de tarte, de façon a ce
qu'il n'y ait pas de surprise, ni de mecontents.

Il est bien connu que, dans les associations, dans les organisations, au
nom des meilleurs interets de l'ensemble bien entendu, un processus
naturel tend a faire qu'un petit groupe s'agglomere, dans le
*back-room*ou au grand jour, pour mener les choses en proscrivant
l'imprevisible. Quand cette pratique reussit, si elle dure, si elle
s'etend, elle congele la masse.

Que se passerait-il si une Ecole devenait le lieu d'un tel processus ?
Elle deviendrait une formation mutualiste ou l'on se donnerait
reciproquement l'assurance que l'on ne se fera pas de mauvaises
surprises. Tout y serait *under control*. Et il serait bien difficile
d'aller la contre.

A un certain niveau, en un certain sens, dans un groupe tout le monde a
interet qu'il en soit ainsi, chacun a interet a avoir l'assurance que
l'autre ne le derangera pas trop dans la jouissance de son acquis. Et
s'il se trouve que, finalement, tous aient interet au maintien d'un
ordre mutualiste de justice distributive, eh bien, tout le monde est
content, mais pour autant l'ensemble ne vaut pas pipette, c'est-a-dire
ne sert plus qu'au partage convivial du gateau, pendant que la cause,
escamotee, n'est plus que pretexte a d'emphatiques envolees  - jusqu'a
ce que le gateau a son tour disparaisse : juste retribution ! On a deja
vu ça.

*Tout le monde il est content*, on se congratule, l'homeostase regne, le
plus-de-jouir est au rancart. Vous etes dehors, vous voulez entrer,
progresser, exister ? Il vous faudra prendre langue avec le syndicat,
donner des gages, filer doux, ne pas faire de vagues. Vous serez coopte
avec une sage lenteur quand on sera bien sur que vous serez inoffensif.

C'est pourquoi l'Ecole suppose que le groupe ne soit pas mutualise,
c'est-a-dire qu'il reste toujours desagrege - desagrege un peu, de la
bonne façon, celle qui l'empeche de glisser sur la pente naturelle qui
l'entraine vers le mutualisme.

Le probleme est d'autant plus instant parmi nous que nous avons eu a
resister il y a deux ans a une tentative brutale, vehemente, et somme
toute bien maladroite, de dissoudre le groupe de l'interieur, de le
liquider. Pour ce faire, nous avons du nous manifester comme solidaires.
Ce temps est passe. Aujourd'hui, si un danger pointe, ce n'est pas la
liquidation, c'est la corruption de la solidarite, sa degradation
progressive, insidieuse, en mutualisme. Si nous laissons aller, nous
verrons se congeler petit a petit notre un par un, disparaitre comme par
enchantement la dispersion necessaire des opinions et des sujets, se
cristalliser un peu partout des blocs mutualistes, parfois concurrents.
Voulons-nous cela ? C'est d'ailleurs peut-etre bien ce qui nous attend,
que nous le voulions ou non.

Si cette Assemblee elira ce soir un membre du Conseil de l'AMP au lieu
qu'il soit choisi par le Conseil de l'Ecole, c'est parce que je me suis
decide via Internet a proposer de modifier legerement les regles du jeu.
Formellement, rien n'est change, puisque le Conseil de l'Ecole, sur ma
demande, a consenti, et je l'en remercie, a reprendre a son compte ce
qui sera le choix de l'Assemblee. Si le un par un de l'Ecole est encore
la, il y aura dix ou vingt candidats. Il serait inquietant qu'un charme
fasse qu'il n'y en ait qu'un - ou deux, pour le semblant. (...)

6

Qu'est-ce que l'Ecole Une ? Cette Ecole mendiante, sans cotisations ?
Cette Ecole sans statuts ? Cette Ecole dont nul ne sait ce qu'elle est ?
L'Ecole Une est une precaution, prise a l'avance contre la
bureaucratisation previsible de l'AMP. Ce ne sera pas pour tout de
suite, non, sans doute pas, mais a echeance de dix, vingt, trente ans,
comment y couperait-elle ?

L'element bureaucratique existera necessairement. On le voit deja
poindre. En effet, une Ecole est un ensemble complexe, toujours plus
complexe, dont certains seuls voudront avoir le maniement. C'est encore
plus vrai de l'AMP. Les germes du mutualisme et de la bureaucratie sont
la.

Eh bien, l'Ecole Une est aussi un germe, un autre germe, place la dans
le Champ freudien, un germe de subversion interne, de subversion
organisee, voulue, qui, je l'espere, fleurira un jour. Une tension
s'installera avec l'AMP. Et de cette tension aura chance de naitre et de
s'affirmer un type d'Ecole dont l'experience soit authentiquement
analytique.

Le refoulement, mieux vaut le savoir, exerce parmi nous une action
constante. Il nous fait constamment preferer, sur nos petites affaires -
qui sont aussi (soyons realistes) notre effectivite - au point de vue
analytique un autre point de vue. Avoir survecu a une importante perte
de substance pour reprendre notre marche en avant avec une vigueur
accrue, est la preuve de notre belle vitalite. Pourtant, ce triomphe,
qui se voit partout aujourd'hui, entraine avec lui le pire, la menace du
pire. N'attendons pas cinq ans de plus pour nous apercevoir ou nous
aurons ete menes par la force des choses. C'est tout de suite qu'il faut
regarder cet horizon, pour deplacer, si peu que ce soit d'abord, les
lignes de force.

Oui, je joue ma partie, je fais mes calculs, comme il s'en fait d'autres
ici et la, pour empecher que s'installent des appareils de controle, de
controle mutualiste et polarise, dans les Ecoles, dans l'AMP.

Par exemple : la passe a l'ECF n'est sous le controle d'aucune force
polaire. Elle n'est controlee que par son dispositif formel. Il y a un
si grand nombre de collegues susceptibles d'entrer dans les cartels de
la passe, de participer a la procedure, de la surveiller, que personne,
me semble-t-il, ne peut l'avoir sous son controle. Cette absence de
controle est necessaire. Il n'y a la passe que s'il n'y a pas controle
de la passe. Regulation, oui ; controle, non. C'est la regle cardinale.
C'est la politique de l'AMP quant a la passe, que ce soit celle de
l'EBP, de l'EOL, de l'ECF, et des autres. Il n'y a passe que si le un
par un est respecte, que ce soit au Bresil, en Argentine, en France.
C'est ce que nous avons a proteger.

La bureaucratisation n'est le desir de personne. La dimension de la
gestion est ineliminable. Si les comptes de Niceas (tresorier de l'EBP)
ne tombaient pas juste, il serait censure. Mais gerer a pour but de
preserver, non d'etouffer, cette autre dimension qui est le propre d'une
Ecole, et qui doit s'imposer au groupe et a la vision corporatiste de
ses interets professionnels.

Il faut nous occuper de tous ces niveaux, veiller a chacune de ces
dimensions. Ce n'est pas pour moi du nouveau, voila vingt ans que je
fais cela. Mais tout est plus vaste aujourd'hui, si vaste que personne
seul n'y peut suffire, et, dans l'interet meme de l'experience comme
analytique, j'ai pense que le moment etait venu de me soustraire aux
imperatifs de la gestion. Si je devais etre reelu a Buenos Aires,
j'aurais deux ans devant moi pour transmettre a tous, et non pas a deux
ou trois personnes choisies, le savoir que je crois necessaire a la
poursuite de l'experience, le savoir qui la conditionne et qui a la fois
permet de l'analyser. Plus precisement, il s'agira, le transmettant, ce
savoir, de l'elaborer.

Nous ne sommes pas sans puissance de prevision. Une logique est a
l'oeuvre, qui va plus loin que l'intention d'aucun. La crise d'il y a
deux ans nous a deja enseigne a quel point nous pouvions etre depourvus
devant *la force du destin*. Mais ce dont il s'agit maintenant va plus
loin et plus profond.

Ce n'est pas dire que nous devions instituer a cote des rapports de
gestion, un *rapport d'interpretation*. Ce serait banaliser
l'interpretation, la dessecher, la tuer. Mais j'essaye de vous
transmettre une inquietude qui devrait etre permanente, et d'autant plus
vive en ces temps de triomphe.

Ce que j'enonce ne m'est pas a moi-meme parfaitement clair.

L'Ecole Une est venue a nous sur des pattes de colombe, nous ne savions
trop qu'en faire, et voila qu'elle s'inscrit dans la politique de l'AMP,
et que l'AMP semble avoir prevu, par un prodigieux effort de pensee,
qu'elle aura besoin de ce qui la decomplete, sous les especes de cette
chose bizarre, l'Ecole Une, avec son Comite d'action, dont nous verrons
prochainement qui se proposera d'en faire partie et qui y sera elu,
cette Ecole qui ne devrait pas manquer de perturber les autres Ecoles,
avec leur consentement bien entendu, et qui pour ce faire,
paradoxalement, aura a leur demander leur aide.

Verrons-nous s'installer effectivement une tension entre le serieux de
l'AMP et les folies de l'Ecole Une, son hysterie ? Une tension et une
dialectique ? Et de la verrons-nous un jour s'imposer dans notre
etre-ensemble le regne du discours analytique ? Verrons-nous des
Assemblees reunies, non point seulement pour gerer le bien-necessaire,
mais pour situer le point ou en est la communaute qu'elles rassemblent,
dans l'experience de l'Ecole comme experience analytique ?

Note : j'ai traduit mon intervention, largement improvisee et prononcee
en espagnol, sur le texte portugais diffuse par AMP-Veredas ; je l'ai
retouche par endroits. Je remercie les collegues bresiliens qui ont
enregistre, decrypte et traduit mon intervention. Apres une election
disputee, et au second tour, fut elue comme membre du Conseil de l'AMP
pour 2000-2004, notre collegue Angelina Harari, de São Paulo.
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A paraitre : M. Bassols, *Intervention sur l'Ecole* ; G. Brodsky, *Le
Comite Omega* ; M.H. Brousse, *L'Ecole Une et l'EEP-Developpement* ; M.
de Francisco, *L'ELP et l'Ecole Une* ; Y. Grasser, *Lettre* ; J.A.
Miller, *Problemes andins-caraibes* ; P. Theves, *Tendance-Une* ; D.
Vallet, *L'Ecole Une, du nouveau a inventer*
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LA QUOTIDIENNE
Lettre d'information de l'AMP
publiee a Paris
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