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ORNICAR ? digital
Revue electronique multilingue de psychanalyse
publiee a Paris par Jacques-Alain Miller


n° 166 - vendredi 4 mai 2001
 

CE NUMERO

-*Editorial*, par Eric Laurent
 

COLLOQUE DE L,ECOLE DE LA CAUSE FREUDIENNE

*C,EST PLUS FORT QUE MOI*. LES EXIGENCES DU SYMPTOME
Nantes, 24 et 25 mars 2001

- *L,extimite du symptome*, par Jean-Louis Gault

- *L,ouverture du symptome*, par Philippe La Sagna

- *L,hors sujet du moi symptome*, par Philippe Lacadee

Envoyez vos textes (les meilleurs), bien tapes, en français, espagnol,
portugais, italien ou anglais. Vous pourrez les publier ulterieurement
sur papier ou vous voudrez. Le secretariat de redaction est assure par
Nathalie Marchaison. Managing Editor : Eric Laurent.

 
 


-*Editorial*, par Eric Laurent

Dans son ouverture au Colloque de Nantes, Pierre-Gilles Gueguen situait le desir de l,analyste comme l,appui necessaire pour articuler les deux faces du symptome, telles que Jacques-Alain Miller les a situees dans l,enseignement de Lacan : le dechiffrement formel d,une part, et le mode de jouir d,autre part. Les trois textes publies ici se situent dans cette perspective.

Dans le cas presente par Jean-Louis Gault, il faut l,action du psychanalyste pour que, a partir *d,une symptomatologie diffuse ou dominent l,affect depressif et le sentiment de decouragement d,un sujet desoriente*, se cerne un symptome. *L,angoisse n,ayant pas disparu, c,est elle qui va permettre de restituer les grandes lignes d,une bien singuliere agoraphobie. Ce sera le premier pas de l,operation du symptome.* On lira les suivants.

Dans celui presente par Philippe La Sagna, c,est dans une *homosexualite parfaitement consentie (...) qu,une part de la sexualite va prendre rapidement la place d,un symptome*. Ce symptome habille une pulsion. *Le caractere spectaculaire de ces pratiques ne faisait que dissimuler le trait ou se revelait au mieux la dimension du symptome et de la perversion. En effet, dans ces moments, le patient ne pouvait apprehender ce qu,il etait ainsi devenu comme objet pitoyable. Il ne le saisissait que dans le regard tiers d,un temoin de la scene.* L,analyste ainsi pris a temoin, comme regard, ne pourra intervenir que dans un autre registre. *Cette satisfaction ne courait si bien qu,en habit de regard, alors que c,etait ici la voix qui menait la danse, et c,etait bien la qu,etait peut-etre l,issue.* L,analyste s,efface comme regard et donne de la voix.

Dans les deux cas presentes par Philippe Lacadee, le symptome est aussi d,emblee une modalite de jouissance. Il s,agit de *traits de perversion*. Dans le premier, il y a *defense contre la psychose*, et dans le second *perversion transitoire*. Dans les deux cas, *le mode du traitement du symptome s,oriente a partir du symptome comme exigeant le *plus-de-jouir*. Le premier tient a son symptome, ce qui oriente la cure vers l,elucidation d,une pratique de jouissance lui permettant, sous transfert, d,y mettre un frein. Le second consent a le mettre en jeu dans la cure, a partir d,une formation de l,inconscient (Š).*

Ainsi, le symptome comme formation de l,inconscient et le symptome comme modalite de jouir, s,articulent de diverses manieres dans la temporalite de chacune des cures de ces sujets. Ils nous indiquent un probleme : le symptome comme *modalite de jouissance* n,est pas le *mode de jouir* qu,il sera a la fin de l,analyse. Nous reprendrons cette question.
 

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L,EXTIMITE DU SYMPTOME
par Jean-Louis Gault (Nantes)

Recemment, un praticien expliquait que les sujets boulimiques souffrent d,un dereglement du comportement alimentaire, dont l,origine est organique. Ils sont soumis, disait-il, a quelque chose de plus fort qu,eux, qui les conduit a s,alimenter avec exces. Cette force exterieure qui s,impose au sujet, est commandee par les centres neurologiques de la faim, qui se trouvent dysfonctionner. De ce point de vue, on pourrait dire une chose equivalente du sujet agoraphobe. Les centres neurologiques de perception de l,espace etant defectueux, le sujet, prive de cet appareil regulateur, connait un etat de panique quand il est plonge dans un espace vaste et libre.

Le sujet est soumis a un *c,est plus fort que moi*, qui lui echappe completement, et qu,il subit passivement. Lui-meme n,etant pas en cause, il ne reste plus qu,a identifier le trouble dans l,organe concerne, et a le traiter.

L,inconscient au-dehors

La decouverte freudienne introduit sur le symptome une perspective profondement differente, qui garde toujours un caractere deroutant pour le sens commun. Dans la psychanalyse, le symptome se presente comme quelque chose dont le sujet patit, et qui s,impose a lui comme venant de l,exterieur de lui-meme. Il apparait comme un element sur lequel le sujet n,a aucune prise. Le symptome, dans la mesure ou il se soustrait a toute maitrise du sujet, peut des lors sembler se situer en dehors du sujet. L,hypothese de l,inconscient introduite par Freud vise, malgre ce caractere apparent d,exteriorite, a mettre le symptome a la charge du sujet.

Le symptome est des lors concu comme relevant du sujet. Alors qu,il se presente avec un caractere de complete etrangete ou le sujet ne se reconnait pas, il est pourtant le temoignage de ce que le sujet est le plus authentiquement. Il peut etre le signe d,un desir, ou la revendication d,une jouissance. Le symptome a ainsi deux identites : il est a la fois du dedans et du dehors. Freud donne un nom a ce dehors, il l,appelle inconscient, et en etendant les limites du sujet au-dela du champ de la conscience, il l,integre au sujet. Entre le conscient et l,inconscient, il y a la barriere du refoulement, qui fonctionne comme une douane. Au-dela de cette frontiere, c,est le territoire de l,Autre, et ce qui en provient a le caractere de l,etranger.

Ce que revele Freud, c,est que cet exterieur est loge au coeur du sujet. Il a d,emblee bute sur cette difficulte, quand il a essaye de concevoir le mecanisme de formation des symptomes hysteriques (1). Il l,a d,abord entrevu sur la base d,un traumatisme, dont la marque persistait dans le psychisme a la maniere d,un corps etranger, et il a releve le paradoxe d,une cause qui continue a manifester ses effets, alors qu,elle est separee du sujet.

Ce probleme d,un exterieur que le sujet abrite en son sein, reclamait une topologie appropriee, que Lacan a diversement sollicitee. Jacques-Alain Miller a su decouvrir au coeur du Seminaire sur *L,ethique de la psychanalyse*, la notion d,extime, forgee par Lacan pour designer un exterieur loge au-dedans du sujet, ou il placait la Chose, a la fois intime et au-dehors. Il en a montre la fecondite, et en a developpe la portee conceptuelle et pratique dans son cours toute une annee durant (2).

Le ca ininterpretable

Freud a aborde l,inconscient comme un extime pouvant repondre a l,interpretation, mais il a decouvert une limite a la levee du refoulement. Il y a un refoulement originaire qui reste retranche : il y a ainsi un extime creuse au coeur de l,inconscient. Les antinomies de la satisfaction, que Freud a rencontrees sous la forme de la repetition d,une jouissance impossible a supporter, l,ont conduit a envisager un au-dela au principe du plaisir qui gouverne l,inconscient. Au-dela de l,inconscient, il a situe le ca, qui est notre veritable extime.

Le symptome releve d,une telle extimite. Il est extime au sujet, dans la mesure ou il vient comme de l,exterieur se placer en travers de sa voie, pour entraver son action, parasiter sa pensee, ou perturber le fonctionnement de son corps. Mais ce dehors est localise au plus interieur du sujet : le symptome est par la meme ce qu,il a de plus intime. Il est le partenaire extime du sujet, et c,est pourquoi le sujet peut etre le partenaire le plus authentique de l,autre, quand il en vient a incarner le symptome de cet autre.

Si l,on suit la repartition de la structure de l,extimite suivant les trois registres de l,imaginaire, du symbolique et du reel, telle que l,a developpee Jacques-Alain Miller, on pourrait faire valoir trois dimensions du *c,est plus fort que moi*. Il y a un *c,est plus fort que moi* qui se deploie dans l,imaginaire, lie au moi lui-meme. Il s,inscrit a l,interieur du moi, parce que le moi, loin d,etre une unite, est double, dans la mesure ou il se constitue en prenant appui sur l,image de l,autre. Lacan avait souligne ce caractere extime du moi. Le moi est ce maitre que le sujet trouve dans un autre et installe au coeur de lui-meme, et c,est pourquoi il est toujours a la fois a l,interieur et a l,exterieur (3).

Cette captation par l,image de l,autre peut avoir sa place dans une formation symptomatique. Mais l,abord du symptome par la voie imaginaire, prise par les tenants de l,ego psychology, a d,emblee ete recuse par Lacan, parce que sans issue, comme le montre la circularite de la structure en miroir du moi.

Lacan a alors introduit le registre de la fonction symbolique, comme principe d,ordre, susceptible de repondre a la beance de la relation imaginaire. C,est a ce niveau que s,exerce un *c,est plus fort que moi* lie a ce que Lacan designe comme l,intimation de la parole. Le maitre n,est plus le moi, mais le signifiant. Ici, on peut situer l,incidence du surmoi dans la formation des symptomes, comme l,avait isolee Freud. Mais dans ce champ du symbolique, il faut aussi distinguer la fonction de l,ideal du moi, le poids des ideaux, et l,incidence des identifications dans la constitution d,un symptome. Le symptome peut ainsi etre extime au sujet quand il est, comme dans l,hysterie, symptome de l,autre.

Le veritable *c,est plus fort que moi* est pourtant celui que Freud situait dans le ca. Il s,agit de la force constante de la pulsion partielle, dont Lacan a revele la structure avec sa notion de l,objet (a). L,incidence de cet objet extime s,exerce sous le couvert du fantasme, qui apparait a l,horizon de toute analyse du symptome. Il y a toutefois un residu symptomatique, que Freud a rencontre dans la reaction therapeutique negative. Ce symptome residuel est proprement constitutif du sujet. Il s,echafaude sur cette beance extime, et integre cet objet auquel, en derniere analyse, se reduit le statut du sujet, de telle sorte que l,issue de l,analyse, celle du *wo es war soll ich werden* freudien, s,indique comme un devenir ca du moi, que Lacan a designe comme identification au symptome.

Le symptome est en tant que tel extime au sujet, mais il a lui-meme une structure d,extimite. Lacan a toujours souligne cette structure mixte et heterogene du symptome. Le symptome a structure de langage. C,est un signifie refoule, et il exprime une exigence de sens, sens lui-meme identifie a la verite, ou le sens attendu est une parole vraie. Mais le symptome emprunte sa matiere au corps, ou il traduit une exigence pulsionnelle. Le symptome est a la fois enveloppe formelle et noyau de jouissance. L,enveloppe signifiante seule ne serait que flot de paroles, bavardage (4). Mais il n,y a pas le noyau de jouissance seul, sans l,enveloppe formelle, sans l,articulation signifiante, et le symptome analysable est necessairement un symptome bien forme.

Une clinique sans conflit

Il ne s,agit pas d,etablir une alliance avec la partie soi-disant non conflictuelle du moi, dans la visee de reduire le symptome, comme l,avaient voulu certains eleves de Freud apres 1920. Ce qui frappe dans la clinique freudienne, c,est, tout a l,oppose et au-dela du conflit moi-pulsion, l,incidence irreductible de la satisfaction, et ceci jusqu,au coeur du moi comme du surmoi. Jacques-Alain Miller a montre dans son seminaire de Barcelone (5), comment Lacan avait ete conduit, pour privilegier ce reel de la satisfaction, a envisager une clinique sans conflit, celle des noeuds.

La notion de conflit, pourtant privilegiee par Freud, et constamment reprise par Lacan dans la premiere partie de son enseignement, ne permet pas de rendre compte du fait que ce qui est chasse d,un cote se retrouve de l,autre, avec la meme valeur de jouissance. Le refoule et le retour du refoule ne font qu,un, et cela indique que la satisfaction qui a ete reprimee, n,a pas ete eliminee. Elle fait retour. La pulsion est toujours satisfaite, et elle ne l,est pas moins, que ce soit par le biais d,un symptome quel qu,il soit, ou par la voie de la sublimation.

Le surmoi, d,abord situe comme une instance regulatrice susceptible de reduire les exces de la pulsion, revele une figure obscene et feroce. Il reprend a son profit la jouissance confisquee. Tout ce qui est retire a la pulsion est deplace au benefice de sa satisfaction. Ce qui le caracterise, c,est une gourmandise insatiable. Freud avait note la contradiction interne au surmoi : c,est a la fois un *tu ne dois pas* et un *tu dois* (6). Lacan en a tire les consequences en revelant, au-dela du surmoi interdicteur freudien, un surmoi qui s,incarne dans un imperatif de jouissance auquel il est impossible de repondre.

Ce qui transparait dans cet apercu sur les paradoxes de la satisfaction, c,est l,ek-sistence d,une jouissance impossible a negativer, a laquelle le sujet a affaire, et qu,il lui revient de prendre a sa charge. Il s,agit alors moins d,un conflit, que des voies par lesquelles le sujet assume cette satisfaction. Voies longues, ou plus courtes, plus ou moins couteuses, mais toujours necessairement symptomatiques, si l,on veut bien admettre que le symptome est le mode sous lequel s,incarne l,extimite de la jouissance.

Une singuliere agoraphobie

Dans la pratique, vouloir inscrire le symptome dans la dimension de l,extimite, peut s,averer difficile. Cela comporte avant tout qu,il soit formalise, ce qui n,est pas acquis d,emblee. On concoit alors l,impasse, quand le symptome a ete mis a mal par des traitements anterieurs, comme on va le voir dans le cas suivant. Sur un champ de fouilles saccage, il s,agit alors de retrouver quelques vestiges significatifs permettant de construire un symptome.

Une jeune femme nevrosee est soignee depuis l,age de quinze ans. Elle se tourne vers l,analyse apres dix ans de psychotherapie, deux ans de psychodrame, et un traitement antidepresseur et anxiolytique pratiquement ininterrompu. L,effet therapeutique n,a pas ete negligeable sur la vie de la patiente, mais le malaise persiste. Au depart, il est impossible d,identifier un symptome. La patiente *fait un* avec une symptomatologie diffuse, ou dominent l,affect depressif et le sentiment de decouragement d,un sujet desoriente.

Si, selon la forte definition de Lacan, une psychanalyse est la cure que l,on attend d,un analyste (7), il importe que celui-ci y mette du sien. C,est ce a quoi on s,emploie sans tarder. L,angoisse n,ayant pas totalement disparu, c,est elle qui va permettre de restituer les grandes lignes d,une bien singuliere agoraphobie. Ce sera le premier pas de l,operation du symptome (8).

La patiente est angoissee a la perspective de sortir de chez elle. Elle a peur de se rendre dans des lieux publics, car elle craint a n,importe quel moment, n,importe ou, de perdre la tete, et de se mettre a crier, ou encore elle redoute qu,eclatent soudain autour d,elle des scenes de violences. La phobie introduit dans le monde du sujet une structure, ou vient au premier plan la fonction d,un interieur et d,un exterieur, dont on decouvrira le ressort.

Dans un second temps, le transfert, au-dela de sa realite signifiante, emerge comme realite pulsionnelle, au moment ou elle entreprend de faire le recit d,une crise subjective survenue a l,age de vingt-trois ans. Elle avait rencontre un homme de quinze ans plus age qu,elle, avec qui elle vivait depuis quatre ans. Un jour, au cours de relations sexuelles, elle ressent un plaisir jamais connu auparavant. Il lui venait cette phrase : *C,est un homme marie*, et cela la faisait jouir intensement. Elle ajoute sur le mode denegatif : *Je ne crois pas que c,etait parce qu,il etait pere.* Elle est plongee dans la plus extreme angoisse, et a l,impression de devenir folle. Elle met rapidement un terme a cette liaison. L,irruption du fantasme incestueux s,etait faite a la faveur d,une prise de stupefiant. On verra plus tard quelles en sont les racines.

Le detail de cette aventure n,avait jamais ete evoque auparavant. L,homme la ravalait au rang de pur objet sexuel. Elle en eprouvait une grande jouissance, jusqu,au moment ou elle en avait ete angoissee. A l,evocation de ces souvenirs, le lien transferentiel se tend et menace de se rompre. Un controle permet de faire a temps le pas de cote qui laisse la voie libre au sujet. L,analyste mesure a cet instant le deuil autour de quoi est centre le desir de l,analyste. Il n,y a pas pour lui d,objet qui ait plus de prix qu,un autre (9).

Le troisieme temps suit la survenue d,un incident qui provoque une crise d,angoisse. L,analyse de l,episode livre un premier acces au noyau symptomatique. La scene a lieu dans un bar : elle est seule, attablee a travailler, un couple entre, et s,installe a cote d,elle. Elle se sent mal a l,aise. Elle eprouve le sentiment d,etre observee, et se sent devenir le centre de leurs regards. D,autres personnes entrent, et prennent place derriere elle. Ils font beaucoup de bruit. Le malaise est extreme. Elle sort.

Elle precise les coordonnees de l,incident. L,homme et la femme s,etaient assis l,un a cote de l,autre, a sa gauche. Elle se trouvait donc dans leur champ visuel : *J,avais l,impression qu,ils m,incluaient dans leur couple.* Ce qu,il y avait de plus *elle-meme* etait la a l,exterieur, non pas parce qu,elle l,avait projete, mais parce qu,il avait ete coupe d,elle-meme, des l,origine, comme objet extime.

Les associations la conduisent au couple que formaient sa mere et son beau-pere. A l,age de dix ans, cet homme etait venu vivre avec sa mere, et des ce moment, aussi loin qu,elle se souvienne, elle les entendait faire l,amour.

Ces scenes vont s,imposer a elle, et son existence quotidienne va graviter autour d,elles. C,etait devenu, dit-elle, *le guide de sa vie*. Elle se met, malgre elle, a guetter le moindre bruit, et ne peut s,arracher a ce qu,elle entend. Dans le meme temps, elle s,en defend, et s,isole de ses parents. A tout moment, ils pouvaient etre en train de faire l,amour, des qu,elle les savait seuls dans leur chambre. Puis il y eut une fois ou elle les surprit dans le salon, et des cet instant, ce ne fut plus seulement a n,importe quel moment, mais desormais n,importe ou qu,elle pouvait tomber sur leurs ebats.

La phobie dessinera un perimetre dans cet espace ou a tout instant et en tout lieu elle pouvait etre precipitee dans le plus intime du couple parental. Mais le symptome ne prendrait pas sa consistance sans l,inclusion du plus intime du sujet. C,est ce qui se devoile au temps suivant. Ces moments tant redoutes etaient anxieusement recherches, et accompagnes de masturbation. Ces pratiques etaient assumees dans le malaise ; aujourd,hui elles sont repoussees avec degout. Cette revelation entraine une chute de l,angoisse, qui laisse place a une sensation de vide. Une nouvelle serie symptomatique s,amorce, qui prend appui sur l,identification a la grand-mere maternelle qui l,a elevee. Le premier reve apparait.

Un souvenir vient completer le scenario fantasmatique qui preside a la phobie. La plus ancienne crise survient a l,age de cinq ans. A l,epoque, elle vivait seule avec sa mere. Un soir ou sa mere etait sortie, elle s,etait reveillee pendant la nuit, et l,avait cherchee jusque dans la rue ou on l,avait recueillie angoissee. Elle s,etait demandee ou sa mere allait la nuit. Elle en concut l,idee que sa mere etait une prostituee et qu,elle partait retrouver des hommes.

Moins d,un an apres le debut de l,analyse, qu,avons-nous obtenu ? Peu au regard de ce qui reste a faire. Beaucoup si l,on considere que le sujet, muni de la boussole du symptome, est desormais situe dans son axe.

(1) Freud, Sigmund, *Über den psychischen Mechanismus hystericher Phanomene* (1893), *GW*, Nachtragsband, 1999, p. 181-195.
(2) Miller, Jacques-Alain, *Extimite* (1985-86), Cours *L,orientation lacanienne*, inedit.
(3) Lacan, Jacques, *Le Seminaire, Livre III, Les psychoses*, Paris, Seuil, 1981, p. 107.
(4) Lacan, Jacques, *Jeunesse de Gide*, *Ecrits*, Paris, Seuil, 1966, p. 747.
(5) Miller, Jacques-Alain, *Le seminaire de Barcelone sur *Die Wege der Symptombildung**, *Le symptome-charlatan*, Paris, Seuil, 1998, p. 39.
(6) Freud, Sigmund, *Le moi et le ca*, *Essais de psychanalyse*, Paris, Payot, 1981, p. 247.
(7) Lacan, Jacques, *Variantes de la cure type*, *Ecrits*, *op. cit.*, p. 329.
(8) Lacan, Jacques, *Du sujet enfin en question*, *Ecrits*, *op. cit.*, p. 234.
(9) Lacan, Jacques, *Le Seminaire, Livre VIII, Le transfert*, Paris, Seuil, 1981, p.460.
 

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L,OUVERTURE DU SYMPTOME

par Philippe La Sagna (Bordeaux)

Freud souligne, dans son *Introduction a la psychanalyse* (1), que le symptome est resistant dans la mesure ou il est un compromis entre la libido et le moi qui, lui aussi, y trouve satisfaction.

La libido refoulee peut amener une alteration du moi, ou *Ichveranderung*. Des 1896 (2), Freud note, dans les nevroses, l,existence d,une telle alteration du moi, a cote du symptome. En 1915 (3), dans son article sur *Le refoulement*, il rattache ces modifications du moi aux formations de substitut. Prenant l,exemple du trait de scrupulosite, il ajoute que l,on ne saurait l,appeler un symptome, car, si la base du mecanisme est la meme, il faut la *separer chronologiquement aussi bien que conceptuellement de la formation de symptome*. Dans son texte *Deuil et melancolie* (4), il montrera comment ce mecanisme, different du symptome, peut mener le moi a sa perte, celui-ci se trouvant definitivement altere par son identification a l,objet perdu.

Dans la deuxieme partie de son oeuvre, Freud montrera le lien fondamental a l,objet que constitue l,identification, qui est a la fois le prototype du lien objectal et la trace de son deuil. Mais ce theme ne sera pleinement developpe qu,a partir des annees 20. Dans sa *Psychologie de masse et analyse du moi* (5), il rapproche, par l,ampleur de ses effets, l,identification a la mere dans l,homosexualite masculine et l,identification qui s,opere dans la melancolie : *Ce qui est frappant dans cette identification, c,est son ampleur, elle mue le moi, dans une de ses parties eminemment importantes, le caractere sexuel.* Le point commun est dans ce cas l,erection de l,objet dans le moi par le biais de l,identification a la mere, ce qui entraine une alteration fondamentale du moi. Dans *Le moi et le ca* (6), il rattachera la constitution du surmoi a ce mecanisme, en montrant que le surmoi conserve la trace des objets abandonnes au niveau du ca. Il faut retenir que la libido, qui etait attachee aux objets abandonnes devenus maintenant objets d,identification, va subir, elle aussi, une alteration qui specifie les formations de substitut par rapport au symptome. La libido sexuelle est transformee en libido du moi et, selon l,expression meme de Freud, elle est *desexualisee*. Il ajoute a propos du moi : *En se posant en objet d,amour unique, en desexualisant ou sublimant la libido du ca, il travaille a l,encontre des visees de l,Eros, il se met au service des motions pulsionnelles adverses*, ce qui rejoint sa remarque dans les *Trois essais sur la theorie sexuelle*, selon laquelle le caractere, qui est aussi une formation de substitut, procede de la sublimation. Une des raisons, qui rendait Freud reticent a l,analyse du caractere, etait le risque d,eveiller, en reveillant *le chien qui dort*, les pulsions destructrices. A la fin de son oeuvre, son article sur *Le clivage du moi* (8) tend a generaliser chez tout sujet un clivage fondamental. Ce clivage se trouvera explicite par Lacan sous la forme de la division du sujet. Il est cependant singulier de voir que Lacan, dans ses derniers seminaires, revient sur la question du moi, au moment meme ou il reinterroge les liens de l,imaginaire et du reel.

La perspective freudienne eut pour effet chez les postfreudiens anglo-saxons d,opposer une clinique du clivage a une clinique du refoulement et du symptome. La notion de division du sujet nous permet de saisir le probleme autrement, mais elle ne resout pas pour autant toutes les questions posees par le destin de la libido.

La libido qui provoque l,alteration du moi se trouve transformee en libido narcissique et s,integre au narcissisme secondaire, la ou le symptome maintient la dimension sexuelle de la libido. Autrement dit, si la libido est maintenant si bien accueillie par le moi, c,est qu,entre-temps elle a change de nature. Dans la sublimation, par exemple, la libido passe par une etape ou elle se trouve *desexualisee*. Si le symptome se presente comme desagrement, c,est qu,il rappelle pour une part au sujet cette dimension sexuelle, soit le caractere ouvert et instable de ce qui peut s,y presenter comme non-rapport, rupture du lien, toutes choses supposees par la sexualite. Dans son cours du 20 janvier 1999, Jacques-Alain Miller a fait valoir que ce qui differencie le symptome du caractere, c,est son rapport a la verite du sujet. Le symptome parle vrai chez le sujet, alors que le meme sujet se tait sur le caractere et sur ce qui s,accorde au moi. Ce silence pouvait etre situe par Freud comme pulsion de mort, la ou s,affirme plutot une forme radicale du refus de savoir pour le sujet.

Dans l,homosexualite masculine, il est d,usage aujourd,hui d,assister a la pleine integration du choix d,objet dans le moi, au prix d,une alteration partielle de l,ideal masculin. Freud avait deja note, a propos de Leonard de Vinci, que l,identification au pere s,accomplit pour ce type de sujet dans des domaines *ne relevant pas de l,activite erotique*. Cette alteration du moi se traduit en general pour le sujet par un inachevement, davantage percu comme un paraitre inacheve que comme un simple manque a etre ou desir. Cela ne rend pas quitte le sujet du symptome, meme a l,interieur de sa sexualite devenue le plus souvent et paradoxalement plus accordee au moi que celle de l,heterosexuel.

Les theoriciens americains du *self*, comme Arnold Goldberg (8), tendent a considerer que l,on peut opposer dans l,homosexualite une sexualite normale, fut-elle perverse, rejoignant par la la position liberale des gays, a une sexualite anormale definie alors comme *sexualisation*. Cette opposition permet a ce psychanalyste d,introduire une distinction entre une activite perverse *normale* et une sexualite pathologique qui, elle, multiplie les partenaires anonymes et se separe de tout lien affectif. Ce type de sexualite, baptisee du neologisme de sexualisation, servirait au sujet a etablir des relations avec des parties clivees du *self*. Si cette sexualisation bannit le sentiment, c,est qu,elle est la trace de blessures affectives et non de problemes lies au desir. C,est une maladie de l,amour renvoyant aux relations d,objets primaires. On comprend qu,il ne soit pas possible pour ces analystes que des pulsions integrees au narcissisme restent sexualisees. Si elles le sont, cela ne peut se faire que de maniere excessive et pathologique, reellement perverse. Il faut donc, en quelque sorte, faire revenir au bercail du narcissisme la sexualite egaree.

Ce point de vue rejoint une demande courante dans l,homosexualite, celle de permettre au sujet de se degager du caractere de contrainte d,une sexualite aussi abondante et anonyme que dangereuse. Ce que revelent les curieux rituels de cette sexualite, c,est bien qu,ils sacrifient a l,existence d,un Autre, Autre que le sujet veut faire exister par la jouissance qu,il lui restitue en s,en faisant l,instrument. Ils celebrent souvent dans le dementi un amour religieux du pere, temoin absent des frasques du sujet. Mais ils expriment aussi sans doute une trace douloureuse du refus de suivre les traces du pere dans le domaine de l,heterosexualite, soit vers l,Autre sexe. On pourrait dire que c,est cette *hyper-sexualite* qui rattache le plus ces conduites au symptome, au sens ou le sujet percoit l,inachevement de sa sexualite comme insatiabilite et faute au regard de l,ideal du moi.

Notre perspective differe de celles des Anglo-saxons, dans la mesure ou nous pensons que le but d,une analyse n,est pas seulement que le sujet adopte une solution convenable pour son moi, voire socialement pour son ideal du moi, mais bien qu,il puisse mesurer en quoi ce qui le gene est porteur de reel, ouverture vers un savoir nouveau qui n,exclut pas l,heteros du sexe, meme si c,est en marquant son absence, sans l,effacer. Pour reprendre un mot d,E. Minkowski sur le desir, il ne s,agit pas d,aller la encore toujours plus loin, voire au-dela, mais de s,apercevoir en quoi un desir est toujours plus ample qu,il ne parait. De meme, une conduite symptomatique peut reveler son *ampleur* et ouvrir une nouvelle dit-mension au sujet.

Lacan, dans son Seminaire sur *Les formations de l,inconscient* (9), remarque que l,achevement de l,OEdipe pour le garcon necessite qu,il integre le fait que le pere possede une puissance phallique susceptible de satisfaire la mere. Il ne fait pas de doute alors qu,un pere trop amoureux manifestera une carence a ce niveau-la, puisqu,il donnera ce qu,il n,a pas, la ou il devrait donner le phallus, soit ce qu,il a, a la mere. Un tel echec du processus oedipien peut decider le sujet a s,identifier a l,Autre maternel, dont il risque de retenir le trait d,un desir inassouvi qui alimentera les appetits sexuels du garcon. Le passage ici du donjuanisme a la bisexualite et a l,homosexualite, revele son fondement. De meme, ce ne sera plus la loi du pere elle-meme qui sera interrogee par le sujet, mais sa puissance, au sens sexuel, voire plus tard la puissance de la loi, voire celle de la vie au regard de la mort.

Lacan remarquait, en 1972 (10), que tous les efforts de la perversion ne permettaient pas au sujet d,approcher la jouissance proprement sexuelle.

Un cas

Ainsi, la paternite peut etre une question qui amene un sujet homosexuel en analyse. C,est en effet autour de ces questions que le sujet vint nous consulter. Les entretiens preliminaires vont reveler en quoi, a l,interieur d,une homosexualite parfaitement consentie, une part de la sexualite du sujet va rapidement prendre la place d,un symptome. L,analysant se plaignait d,etre contraint par son desir a participer a une sexualite collective, ou il se trouvait reduit a la position d,etre symboliquement castre et reduit a rien.

Mais le caractere spectaculaire de ces pratiques ne faisait que dissimuler le trait ou se revelait au mieux la dimension du symptome et de la perversion. En effet, dans ces moments, le patient ne pouvait apprehender ce qu,il etait ainsi devenu a ses yeux, un objet pitoyable. Il ne le saisissait tres classiquement que dans le regard tiers d,un temoin indispensable de la scene. Ce regard necessaire, qui renvoyait au sujet sa division, semblait ici de trop pour son moi et son ethique : c,est meme cela qu,il considerait comme reellement pervers. La violence inherente a la situation heurtait les ideaux humanitaires de ce jeune homme, aussi fin que cultive et progressiste. De meme, il meprisait ses partenaires, chez qui l,inhumanite et le ravalement n,etaient pas uniquement de semblant. Enfin, la necessite du regard tiers lui semblait tourner en derision son activite artistique, portee chez lui a un haut niveau d,ideal, et qui supposait de dompter ce qui du regard restait la pris dans la jouissance.

L,analyse a rapidement montre le lien de cette conduite avec la figure du pere. Celui-ci n,avait-il pas epie l,enfant dans ses jeux ? Etait-ce pour lutter contre l,auto-erotisme du garcon ou pour satisfaire un desir plus pervers ? N,avait-il pas, ce pere, detourne les yeux lorsque son fils avait ete serre de pres par un adulte visiblement pedophile ? Ce pere regardait trop et fermait les yeux a contre-temps.

Mais ce regard etait aussi celui du sujet lui-meme qui espionnait ses parents pour connaitre la cause de leur discorde. La discorde finit par se conclure par la separation. Ce pere etait trop volage au dire de la mere, tant mieux pour le fils aux yeux de qui il se trouvait ainsi virilise.

La mere abreuvait son fils des reproches adresses a son mari, et les rencontres orageuses du couple separe etaient toujours craintes par le garcon. Sa surprise fut totale lorsqu,un jour, apres la separation, il decouvrit que ce couple, loin de se disputer bruyamment derriere la porte comme il le pensait, s,etreignait passionnement. La trahison des parents eut un effet ravageant sur l,enfant qui, a partir de ce moment, developpa une hostilite et un mepris a l,egard du pere. C,etait bien lui le traitre comme sa mere le disait, et ce fut aussi a partir de la que l,inversion de la position oedipienne du sujet se decida. Il devint lui-meme la femme trahie et la mere menteuse, en meme temps que le pere chatre par son amour.

L,enfant se retrouva alors de plus en plus capte par son image ou par celle de ses camarades de jeux. Il passait de longs moments a parfaire cette image dans le miroir. Il lui etait sensible qu,il attendait que quelque chose se passe pour l,arracher a la capture de ce reflet de lui-meme. Des jeux sexuels avec ses camarades s,affirmerent. Ils avaient toujours lieu dans une vieille malle, ou les enfants etaient soustraits au regard, et ils comportaient toujours ce trait de la claustration. D,ailleurs, le lieu ou le pere epiait le fils n,etait-il pas un appentis resserre, et les parents ne se retrouvaient-ils pas eux-memes dans une piece etroite pour echanger des caresses a l,insu du fils ? Ajoutons que la malle degageait une odeur de fumee, liee au pere, odeur qui avait pour le sujet une fonction de fetiche.

Dans la cure, les constructions du sujet, l,abondance de ses reves et les details de ses fantasmes, loin de le separer de sa jouissance, semblaient plutot forger l,ecrin qui la rendait possible. La beaute du tableau, l,agilite des liens servaient-ils ici Eros ou des forces plus obscures qui cheminaient a l,abri de ces constructions ? Ce tour de perversion du dispositif devait etre dejoue par la manoeuvre du transfert qui, ici comme ailleurs, ne se resout jamais dans la technique. Bien plutot, faut-il que le desir decide une rupture dans l,unite du discours.

Autrement dit, c,etait une belle analyse, mais cet appareil si parfait etait dementi par l,absence de deplacement du mode de jouir du sujet. Ce mode n,infiltrait-il pas d,ailleurs le transfert qui, comme il se doit, n,operait ici que d,une transposition, en deplacant sur lui l,energie que concentrait le symptome sans la dissoudre, mais en devenant son abri ? Ce n,est pas par hasard que l,on parle du lien transferentiel, puisqu,il se tisse des liens qui s,operent dans la mise a jour de l,inconscient. Le transfert doit pourtant servir a les denouer, et non a garantir comme lie ce qui se depose de savoir inconscient.

Mais cette satisfaction ne courait si bien en habit de regard que du fait que la voix, en realite, menait la danse. C,etait bien la que se trouvait peut-etre l,issue unique du transfert et du symptome. La passion du sujet pour les espaces restreints, fermes, cachait mal l,horreur de ce qui ne peut se clore, se fermer. Lacan a longtemps insiste sur le fait que l,oreille ne peut se *bouche-clore*, selon son expression. C,est au niveau de l,oreille que la voix se recueille. Ce n,est pas tant l,etre qui est *ouvert* que l,oreille, et tout notre habitat ne mime-t-il pas le reve de fermer ici la porte au discours qui, lui aussi, ne connait pas de cloture mais des deplacements qui ne cessent pas ? Ces deplacements nous necessitent d,opter pour une decision satisfaisante au regard de tous.

C,est l,odeur de fumee fetichee qui assurait pour ce sujet la cloture, soit la possibilite d,unir la jouissance et le corps dans un reve narcissique. Ajoutons qu,elle n,etait pas sans lien avec la pulsion de mort, - comme nous le verrions par la suite -, ou plutot, en suivant Lacan, elle materialisait une ignorance propre a maintenir l,unite du moi et la consistance de l,Autre.

Le devoilement de la fonction de la voix a amene le sujet a retrouver un nouveau gout pour la vie, mais aussi a dechanter sur la consistance de son souvenir-ecran.

Le placard ou il cachait sa tristesse ne pouvait etre celui ou son pere, croyait-il, l,epiait, puisque ce lieu n,avait jamais ete autre chose qu,un lieu noir et sans lumiere. Ce regard qu,il avait surpris au carreau de la porte ne pouvait donc le voir, et sans doute avait-il suivi de peu la voix, l,appel du pere le cherchant. Il n,avait donc pas ete vu mais bien entendu, comme regard cache par le pere.

Faut-il ajouter qu,il a fallu, pour obtenir ce renversement, *deranger* (11) la defense, et que celle-ci fut aussi fortement mise en question par les aleas dramatiques de la vie du patient.

L,effet ne s,est pas fait attendre : le sujet a fait subir un profond deplacement a son activite sexuelle la plus problematique, dans le meme temps ou sa relation a la paternite, y compris celle de ses oeuvres, se deplacait.

Freud souligne qu,un progres n,est jamais que la moitie de ce qu,il parait. Le sujet, reconcilie avec le pere et avec la paternite, a commence une veritable construction, celle d,une maison de campagne. Il a ajoute a cela un nouveau souvenir, eclairant la fonction de la fumee : enfant, il attendait souvent son pere qui tardait a venir ; il restait donc assis devant une cheminee qui tirait tres mal et l,asphyxiait quelque peu. Quand son pere apparaissait enfin, il ouvrait la porte, faisait rentrer un peu d,air frais, et arrachait ainsi l,enfant a sa solitude et a l,etouffement litteral que celui-ci s,imposait.

Lacan, dans le Seminaire V, souligne comment l,homme n,a de cesse, des qu,il occupe un lieu, d,en specifier deux autres, qui sont la prison et le bordel, a quoi il en ajoute un troisieme, l,ailleurs, voire la revolution. Tous ces lieux clos ne sont pas sans lien avec la cloture du fantasme qui sert d,ossature au camp retranche du moi, d,ou s,echappe l,appel vers le dehors. Heureusement, l,ennemi du moi est dans la place et il s,appelle le symptome. Lui aussi peut sembler une construction dans tous les sens du terme, mais celle-ci ne vaut, n,existe, qu,a se defaire, se denouer, et c,est la qu,il devient plus reel qu,imaginaire, voire symbolique. Les noeuds de Lacan ne sont pas des modeles, - Jacques-Alain Miller le soulignait recemment dans son cours -, mais, s,ils participent de la construction, leur reel et leur existence tiennent au moment ou leurs liens se denouent. Ce reel de la rupture du noeud, peut-etre l,obtient-on mieux *a eteindre la notion du beau*, comme le souligne Lacan, qui nous rive a nos constructions souvent trop liees dans l,imaginaire a nos intuitions.

Cette possibilite de denouement releve bien du pouvoir du symptome. Il ne prend vraiment toute sa dimension que dans la cure analytique, et surtout il doit comporter dans son dechiffrement ce qu,il represente : le fait que la sexualite humaine comporte un defaut essentiel. Lacan notait, le 11 fevrier 1975, qu,il faut, pour qu,une construction ait une consistance qui ne soit pas imaginaire, qu,elle ait un trou, soit quelque chose qui se verifie au moment ou un noeud se denoue. Ce trou-la n,est pas le vide, voire la pulsion de mort freudienne, il n,est pas non plus le simple refoulement, mais bien le defaut du langage et du sexe, qui n,apparait qu,au moment ou la vraie nature du lien se revele. Ce trou est curieusement l,assise du moi, puisque la fonction essentielle du moi est de le couvrir dans tous les sens du terme. Peut-etre est-ce ce lien, bien plus que le pere, qui garde la porte ouverte pour nous permettre de respirer ?

(1) Freud, Sigmund, *Conferences d,introduction a la psychanalyse*, Paris Gallimard, p. 455 et seq.
(2) Freud, Sigmund, *La Naissance de la psychanalyse*, Paris, PUF, 1969, p. 130.
(3) Freud, Sigmund, *Metapsychologie*, Paris, Gallimard, 1977, p. 45.
(4) *Ibid.*, p. 147.
(5) Freud, Sigmund, *Essais de psychanalyse*, Paris, Gallimard,1981, p. 171 et 172.
(6) *Ibid.*, p. 240.
(7) Freud, Sigmund, *Resultat, idees, problemes*, Paris, PUF, 1985, p. 250.
(8) Goldberg, Arnold, *The problem of perversion*, New York, YUP, 1995.
(9) Lacan, Jacques, *Le Seminaire, Livre V, Les formations de l,inconscient*, Paris, Seuil, 1998, p. 207-210.
(10) Lacan, Jacques, *Le Seminaire, Livre XX, Encore*, Paris, Seuil, p. 80.
(11) Miller, Jacques-Alain, Cours du 25 novembre 1998.
 
 

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L,HORS SUJET DU MOI SYMPTOME

par Philippe Lacadee (Bordeaux)

Je presenterai deux sujets souffrant d,un dysfonctionnement : le moi deborde ne suffit plus a endiguer une position d,exces. Leur conduite surgit alors comme un symptome embarrassant, exigeant, les amenant a s,y referer a partir d,un *c,est plus fort que moi*, et leur rendant la vie pour le moins insupportable.

Ayant fait l,hypothese d,un savoir dans le reel de leur symptome, ils attribuent a celui-ci un etre de verite, et trouvent ainsi la solution de l,adresse a l,analyste, sujet suppose savoir dechiffrer la verite de leur symptome.

Les entretiens preliminaires leur revelent le paradoxe suivant : s,adressant a l,analyste a partir du symptome comme verite, ils rencontrent le symptome comme mode de jouissance.

A partir de leur enonce, *c,est plus fort que moi*, la jouissance obtenue du symptome se presente des lors, sous transfert, comme ce qui vient faire symptome. Rencontre ainsi de facon contingente, ce mode de jouir devient alors pour eux ce qui ne devrait pas etre.

Cependant, si telle semblait etre l,exigence de leur symptome, celui-ci s,averera etre un fonctionnement plutot qu,un dysfonctionnement, dans la mesure ou il prend place comme un *veritable artefact*, voire un appareillage, leur permettant de se sustenter dans le monde, face a un reel par trop angoissant.

Les deux cas illustrent comment le trait de perversion n,est pas contingent, mais au contraire qu,il a une necessite structurale : dans le premier, c,est une defense contre la psychose, ici non declenchee ; dans le second, c,est une perversion transitoire, traitable par l,analyse du symptome sous transfert - c,est la dimension d,*acting out* qui nous autorise a en parler ainsi. Dans les deux cas, le mode de traitement du symptome s,oriente a partir du symptome comme exigeant le *plus-de-jouir*. Le premier tient a son symptome, voire par son symptome, ce qui oriente la cure, a partir d,un aveu, vers l,elucidation d,une pratique de jouissance lui permettant sous transfert d,y mettre un frein. Le second consent a le mettre en jeu dans la cure, a partir d,une formation de l,inconscient lui rendant caduque l,armature du moi dont il se sustentait jusqu,alors.

Le premier sujet, qui s,est progressivement enferme dans *une solitude affective qu,il supporte mal*, s,inquiete de sa tendance a s,isoler dans une recherche de satisfaction absurde. Il veut savoir le pourquoi de *ses satisfactions bizarroides*, d,autant qu,il dit s,etre claquemure dans ce qu,il appelle *des moments personnels*. Il pense ne plus avoir besoin de *ces artefacts*, mais il y a goute et ne peut plus s,en passer.

Ce gout, c,est ce qu,il nomme *son jardin secret*, precisant : *C,est la lingerie feminine, je porte des sous-vetements feminins.* C,est pour lui plus qu,un transvestissement. Il precise ne pas chercher la fusion feminine, mais *le vol d,une part de feminite afin, apres y avoir goute, de l,ingerer*.

Il dit aussi ne pas exister, ne pas croire vivre lui-meme et ne pas se satisfaire de sa vie normale. Il y a des choses a faire qu,il se refuse a etablir : *Je suis un professionnel qui reussit, mais je ne suis qu,une apparence. Sur le fond de moi-meme je n,existe pas. Je suis quelque chose qui a ete faconne par des preceptes, une education*, poursuivant : *Je n,ai pas une dimension sexuee d,origine, j,ai une devirilisation, j,ai une pensee feminine. Je suis un enfant pas sexue.*

Comme il n,a plus de points de repere, il dit n,avoir pas su se batir une identite vraie, trouvant alors la solution de se recreer, a l,endroit precis ou il dit ne pas exister, une identite.

Alors, precise-t-il, *c,est plus fort que moi, j,ai une pensee qui manipule tout cela et qui me pousse a mettre de la lingerie feminine*. Se qualifiant d,homme cerebral, il trouve dans son comportement deviant une entiere satisfaction.

Il precise que sa pratique de transvestissement lui sert a faire face a ce qu,il nomme *un refus de la vie* qui lui fait peur, qu,il trouve agressive, dure, decevante : *C,est une dichotomie qui fonctionne en vase communicant, des qu,il y a une insatisfaction, je vais dans le cote feminin.* Ce transvestissement est un veritable point d,ancrage, dans la mesure ou le simple contact du vetement lui procure un eprouve feminin : *C,est un maquillage vestimentaire qui me met en situation psychologique de confort.* Il precise bien qu,il ne s,agit pas de changer de sexe, mais juste d,une pensee de feminisation, soit une pensee qui a trait au textile. Il le vit comme le retour a l,etat premier dans le ventre de sa mere : on est proche de la feminite, dit-il, car *on est protege, on n,est pas en train de se battre dans la vie*.

De son mariage avec sa femme, Lola, il dira s,etre laisse aime, l,ayant epousee car *il y avait un bebe en jeu*, alors qu,il etait amoureux d,une autre femme, Nicole. Par ce mariage, il dit n, avoir fait que suivre les preceptes du pere, construisant sa vie sur une volonte, qu,il differencie bien de l,amour : *Des que l,on s,est retrouve face a face, l,amour reel a manque.* Maintenant, dit-il, *c,est elle qui porte la culotte et moi la lingerie feminine*.

Il a peu de relations sexuelles avec son epouse, c,est plutot la tendresse et leurs quatre enfants qui les reunissent : *L,union est ou n,est pas, dit-il.* Pour lui, la verite du couple familial se reduit a une unite de pouvoir, une imbrication, illustree par ce que ses parents disaient d,eux-memes : *On ne fait qu,un.*

Mais c,est plus particulierement du comportement docte et autoritaire de son pere dont il eut a souffrir : *Hors de ce qu,il disait, il n,y avait point de salut.* Il etait attache a une valeur sure : *On n,a pas le droit de se satisfaire. C,etait sa facon de nous dire le bien et de *tracer la vie*.* Seul le devoir familial, veritable chemin de morale a suivre, devait trouver une place dans la vie d,un homme. En effet, les consignes de son pere, qu,il a suivies a la lettre, jeune et encore maintenant, l,ont conduit a des echecs, des choix durs a vivre. Ce ne sont pas des decisions raisonnables qui animent sa vie, mais ce qu,il appelle *des preceptes, des copier-coller, que je n,ai pas su ingerer*. Remarquons ici l,insistance de ce signifiant. Alors, dit-il de facon ironique, il a fait ce qui devait etre fait : *Va te laver les mains, va dire bonjour a la dame.* La parole du pere n,est pas prise en compte au-dela de la prescription. Pour lui, l,initiative vient de l,Autre. La regle est reduite a son aspect d,injonction surmoique.

Le fait de se feminiser, de porter de la lingerie fine, dont il a fait sa maniere de vivre, *veritable artefact*, est sa facon de reagir aux preceptes educatifs du pere, lui permettant, dit-il, de trouver une satisfaction a deroger ainsi a la regle morale. C,est ce qu,il dit etre sa jouissance, au-dela de son moi qu,il voudrait raisonnable.

Mais cela le derange, il en a honte vis-a-vis de sa femme, il ne peut lui avouer l,etre deviant qu,il est devenu. C,est de cette lutte interieure devenue insupportable dont il veut se soulager. Cependant, il dit aimer ce qu,il appelle son passage a l,acte, et le vivre comme *une forme de vengeance. Il y a la une petite ironie, c,est un pied-de-nez social. Je me dis : s,ils savaient ! Alors je me sens plus fort, car moi, j,ose des choses fortes. C,est plus fort que moi, je me dis alors chiche, fais-le, prends du plaisir*.

La ou le devoilement est convoque apparait le trait pervers qui ainsi protege le sujet de la psychose.

D,en parler en seance, cela l,apaise et rompt la solitude exigeante de son symptome. Il peut alors parler de sa rencontre avec l,Autre sexe a l,adolescence, qui l,avait laisse perplexe, le confrontant a la peur, dit-il, du jugement de la femme. Il explique alors comment, pour soutenir sa premiere rencontre avec une femme, son amie Nicole, il s,imaginait nommant a voix haute les parties de son corps : *C,etait le besoin de dire : je vois tes seins, ton corps, je dis donc je comprends, c,etait materialiser son corps. Je veux l,ingerer, donc le posseder. C,etait ma facon de vivre avec la femme. C,est pour cela que la lingerie est arrivee.*

Ce signifiant *l,ingerer* par nous souligne au cours d,une seance, car souvent usite par lui, le surprend de nouer pour lui La femme a l,injonction des preceptes non ingeres du pere. Ainsi, par le jeu avec la lettre, de *l,ingerer* a *lingerie*, ce sujet infiltre-t-il de jouissance sa position subjective. La lingerie devient l,objet d,une satisfaction secrete, d,un savoir sur la jouissance. Par ce stratageme, ce maquillage linguistique, ce dementi qui lui vient du reel, il se cree un Autre a sa mesure, une femme, pour s,assurer ainsi une jouissance sans risque lui permettant de se faire l,instrument de la jouissance de l,Autre, ici la pensee feminine.

*Il arrive, dit-il, des moments ou etant naturellement homme, je m,amuse de la difference. C,est le matin au reveil, lors de l,erection matinale. Je me dis alors : quelle lingerie vas-tu mettre aujourd,hui ? Ce declic, la poussee glandulaire, me pousse a mettre ce bouclier feminin ; c,est un derivatif qui m,abrite, et des que j,ai une contrariete, alors je bascule du cote feminin.*

Le fait de s,entendre dire en seance, a voix haute, sa bizarrerie, lui permet de la sortir de son moi, de combattre *cette pulsion exigeante*.

Au debut d,une seance, celle ou il m,explique comment la lingerie feminine est arrivee, il me montre la lettre qu,il a decide de donner a sa femme pour lui avouer l,etre deviant qu,il est vraiment devenu, ayant trahi son amour, et implorant son pardon pour ce qu,il lui fait endurer. Je lui demande de n,en rien faire et de me donner cette lettre. D,interrompre ainsi sa strategie, celle d,inquieter sa femme, fut pour lui un moment decisif. Se defausser de son symptome par la lettre a sa femme, en en faisant l,aveu, lui aurait permis de ne pas faire l,aveu, dans le transfert, de la jouissance obtenue par le symptome.

En effet, il en vient a declarer a la seance suivante : *En parlant, on a sauve les meubles, mais ai-je vraiment envie d,arreter cela ?* C,est alors qu,il avoue ne pas vouloir encore ceder sur ce qui le fait jouir : *Le regard d,une femme pose sur moi en position de mes fantasmes m,excite.* Ce qui l,excite, c,est un fantasme pervers, celui de s,imaginer avec cette femme, lui-meme en tant qu,homme humilie, habille de sa lingerie feminine, etre en sa presence, et qu,elle ressente alors un certain plaisir de le voir ainsi. On a la au premier plan la recherche de la division de l,Autre, La femme, qu,il contribue a faire exister, mais qui reste pour lui d,une totale incomprehension. Il s,agit pour lui de prendre La femme en defaut, a partir du point d,identification ou lui-meme serait la comme une femme, mais en defaut, car maquillee de ses sous-vetements, ce qu,il appelle *son veritable artefact*, et d,imaginer ainsi sa stupeur.

Pour le second sujet, c,est l,annonce de sa paternite puis la naissance de son fils qui le conduisent a modifier sa pratique sexuelle. Il decide de s,adresser a un psychanalyste pour comprendre ce qui lui arrive, et changer la vie accablante qu,il s,est constitue pour satisfaire l,exigence de sa pulsion.

La conjoncture de declenchement de sa pratique sexuelle n,est pas sans echo avec le cas de Melitta Schmideberg, rapporte par Lacan dans le Seminaire, *La relation d,objet*. Au moment ou sa femme est en train d,accoucher, le sujet se precipite dans un parking d,homosexuels pour aller se faire caresser le sexe par un homme, puis il en vient a des passages a l,acte exhibitionnistes sur l,autoroute.

Il precise que ce fut pour lui le mode d,entree dans une pratique perverse dont il a du mal a se passer. Il tire une grande jouissance de se voir le sexe en erection, sous le regard d,un homme. C,est un plaisir visuel autant que physique. Mais ce qui le fait vraiment jouir, c,est de se faire masturber, le reste n,etant qu,un plus. Ce reste ainsi isole, est le veritable coeur de l,exigence de son symptome, le plus-de-jouir obtenu de la repetition du sympome, soit la mise en jeu de l,objet *regard*. Il insiste sur l,anonymat de cette pratique dans les parkings. Elle lui permet, dit-il, de ne pas se voir. Il a alors le sentiment etrange de ne plus avoir d,image de lui et de se reduire a une pulsion, celle de se voir dans son sexe a travers le regard d,un homme : *Je suis un homme tres pulsionnel, mu par le sexuel.* La motion de la pulsion echappe a toute influence, le refoulement de la pulsion ne suffisant pas a faire taire cette exigence. Il vit cette pratique comme une souffrance : il y a pour lui un retour de la jouissance sous la forme d,un symptome, se vivant lui-meme comme un objet abject. Il demontre comment le symptome apparait comme le substitut de l,experience de la pulsion. C,est ce que le moi de ce sujet n,arrive pas a resorber, d,ou son adresse a l,analyste.

De sa relation a sa mere, il dira avoir garde l,idee fixe qu,il y avait, dans son regard, l,assurance d,une caresse qui n,a jamais pu aboutir. Pour lui, l,important est d,avoir toujours su que c,etait une promesse a son egard, que sa mere ne tiendrait pas : *Je m,accrochais a cette promesse, c,etait de l,ordre de la caresse, comme de celle qu,un enfant est en droit d,attendre de sa mere.*

Ce qui l,etonne, c,est qu,il soit devenu, depuis la naissance de son fils, cet enfant lui-meme. Ainsi, dans son etat d,esprit, lorsqu,il va se faire caresser le sexe par un autre homme, il est cet enfant-la : *A ce moment-la, l,age ne veut rien dire, seule compte la volonte de prendre du plaisir, et c,est pour cela qu,il faut que ce soit anonyme.* En effet, il est la sous le regard de la part anonyme de la promesse de caresse de l,Autre.

De son enfance, le sujet dit qu,il a toujours eu du mal a se trouver une place. Avant lui, trois freres sont nes, tous devenus routiers. Son frere cadet, de deux ans plus age, avait tente de l,etrangler lorsqu,il avait sept ans. C,est avec ce frere que sa mere eut une relation privilegiee. Sa mere, dit-il, l,avait *donne en pature a ce frere*, afin qu,il dirige sa violence plutot sur lui que sur elle-meme. *Pour ma mere, il y a eu sacrifice de ma personne, d,autant qu,elle aurait voulu, apres la naissance de trois garcons, une fille, et c,est moi qu,elle a eu.* Ce frere prenait un malin plaisir a l,humilier publiquement en le traitant de fillette. *Quoique je puisse montrer, c,etait a ce frere que j,aurais du le faire. Mais il avait la protection de ma mere, et moi je n,etais rien. Lorsque je me plaignais, ma mere, pour ne pas subir la violence de mon frere, me traitait a son tour de pleurnicheuse.*

C,est ce qu,il realisera par l,exhibitionnisme, juste apres la naissance de son fils : *C,est cela que je voulais montrer, que j,en avais un, moi aussi.* Ainsi, va-t-il conduire sur l,autoroute, nu dans sa voiture, doublant les camionneurs et ralentissant a leur hauteur, puis regardant dans le retroviseur pour voir s,ils l,avaient vu. On a la le devoilement de sa strategie, consistant a faire surgir le regard au champ de l,Autre. Par deux fois, il se fera arreter a la sortie de l,autoroute. Se rendant compte de l,ampleur du debordement de sa conduite, et vivant celle-ci comme un symptome, il se decide a consulter. En effet, un insupportable vient lui faire honte. Il se rend compte que par sa conduite, il cherche a diviser l,Autre de la loi, alors qu,il est educateur de prevention : *Ils doivent se demander comment je peux etre educateur.* On a la la presentation de sa division subjective avec appel a la Loi, ce qui le conduit a l,analyse.

Un jour, il entame la seance comme a son habitude, reactualisant dans le transfert sa position de pleurnicheuse, en se demandant pourquoi il se plaint toujours. *La plainte, c,est le meilleur moyen de s,interesser a soi*, telle est la phrase qu,il enonce qui, d,etre reprise par la coupure de l,analyste, le surprend et le plonge dans une grande perplexite, face a un trou du sens. Il veut corriger tres vite cette phrase en disant que c,est une erreur, qu,il est hors sujet, qu,il voulait dire : *La plainte, c,est le meilleur moyen pour que l,on s,interesse a moi.*

La seance analytique vient ici lui confirmer qu,elle est bien ce lieu ou peut s,authentifier, au-dela de la conduite, un usage deviant du langage. Cette deviance est autorisee, voire desiree par l,acte analytique, qui, en privilegiant l,hors sujet, permet a celui-ci de parler le fantasme.

Des lors, la seance analytique exploite le malentendu avec, a son terme, une revelation qui est de fantasme, nous dit Lacan. Dans le temps de la seance, autorisation est donnee, grace a ce bouge du langage, au lapsus qui, d,etre hors sujet, surprend le moi et n,est pas sans affinite avec l,exigence du langage, au sens ou Lacan nous dit que c,est l,exigence du surmoi qui pousse le sujet a parler.

C,est une scansion de l,analyste, ayant eu valeur de coupure, qui amene le sujet a dire que l,Autre auquel il croyait adresser sa plainte, n,existe qu,a la hauteur de la foi qu,il accorde a sa plainte adressee a l,Autre. Celle-ci, de fait, ne lui sert qu,a voiler sa strategie inconsciente, ce dont a son insu il jouit : faire surgir au champ de l,Autre le regard, d,ou il s,assurerait de sa position subjective en attente de la promesse d,une caresse.

*Je ne vais pas arriver a en decoller pour le coup (Š). La, evidemment, poursuit-il, cela rend tout le reste derisoire, maintenant que j,ai dit *s,interesser a soi*, a travers la plainte.*

Le sujet se rend compte que sa plainte a l,Autre, *pour qu,il s,interesse a moi*, qui n,est qu,une croyance en l,Autre auquel il se consacre comme educateur, est devoilee : *Je suis la comme sans emballage (Š). Tout dans mon discours n,est que cet interet de moi pour moi.* Il conclut : *Dans ma plainte, je suis tourne vers moi, alors que je voulais vous demontrer l,inverse.*

D,etre hors sujet, une verite particuliere s,est faite entendre, grace a l,exigence du langage, lui revelant dans la seance la strategie de son moi exhibitionniste. On a la le surgissement d,un sujet qui, d,etre pris soudain sous le regard de la coupure de l,Autre, se retrouve sans l,emballage de son moi. Cela derange la defense de son attente mensongere - *Qu,on s,interesse a moi*.

Le symptome devient analytique et se presente dans le reel de la seance sous la forme du mensonge - la plainte a l,Autre. Le mensonge sur le reel du symptome est revele : *Je suis sans emballage.* La verite qui se fait entendre dans cette seance, est celle qui a fait surgir un reel, celui du rapport du sujet a sa jouissance.

Le reel surgit la comme asemantique, separe le sens et la verite. La defense du sujet a l,endroit du reel est touchee, ce qui le conduit, une fois l,objet regard isole, a pouvoir entrer en analyse.
 
 

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